Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru dans la newsletter du

Jardins ouverts jardins clos VII : les régulateurs et les clients sortent de la naiveté

Qui ? 
Cécile Ribour, dircom de la MAIF, Christophe Parcot, ancien dg de Yahoo, Hervé Ribaud-Shinberg, directeur média trafic et acquisition d'Intermarché (en photo), Fayrouze Masmi-Dazi, avocate et Chantal Rubin Cheffe du Pôle Régulation des Plateformes numériques Ministère de l'Economie.

Quoi ? 

Une rareté : lors de la 7° édition de Jardins ouverts jardins clos, les annonceurs s'expriment sur le pouvoir des plateformes. Et les gouvernements s'attaquent à leurs abus (Replay de la matinée ici, autres articles ici, et,.

Comment ? 
Jardins ouverts jardins clos intervient la dernière semaine du procès mené par le département de justice américain contre le moteur de recherche de Google, pour abus de position dominante. Nos lecteurs connaissent maintenant très bien Fayrouze Masmi-Dazi, l'avocate qui en fait la chronique depuis deux mois dans nos colonnes. En début de cette septième matinée de Jardins ouverts Jardins clos, elle en fait la synthèse. Pour schématiser, le département de la justice américain considère que Google est un opérateur dominant sur le search qui abuse de son pouvoir de marché, pratique l'auto-préférence et limite l'inter-opérabilité des services. L'an prochain, quelle décision sera prise ? Elle pourrait consister à scinder des activités ou déclarer certains accords comme celui entre Google et Apple illégaux. "Ce procès nous donne une vision de ce qui s'est passé depuis vingt ans, comment internet s’est consolidé dans un monde dérégulé. Si les pratiques de Google sont jugées anticoncurrentielles aux États Unis, elles le sont probablement en Europe et dans ce cas les acteurs pourront demander des réparations en Europe."

Son intervention a été commentée par Cécile Ribour, dircom de la MAIF.  "Est-ce qu'on est client de Google ?   Est-ce qu'on a le choix ?" . En 2020, suite aux Facebook Files, elle a pu couper Facebook pour voir ce que cela donnait (voir ici) :"on a perdu en flux pour obtenir des devis". Mais Google, c'est impossible : "Il n'y a pas d'alternative. Quand on est annonceur, on est en bout de chaine, il faut être là où sont les sociétaires et nos prospects. Ils sont sur internet et sur google, qui a une PDM de 96 % sur mobile.En France, quand on fait du service on n'a pas d'autre choix. La part de Microsoft est réduite." Depuis quatre ans, les revenus de Google ont augmenté de ... 400 %. La MAIF se recrée des marges de manoeuvre ailleurs : " On travaille sur le SEM et le SEA (search engine acquisition) a été internalisé. Ce qui nous permet de ne pas suivre les recommandations de Google et de maitriser le levier. Du coup, on ne subit pas sans rien faire l'inflation des coûts. D'autant que la décrue des insuretech a un peu freiné la hausse. Dans ce monde bipolaire, comment laisser une place aux médias, quand on est assureur militant ? "On cherche à équilibrer et on maintient nos investissements dans les médias français, notamment la presse écrite, que beaucoup ont désertée".

Enfin, concernant la régulation, Cécile Ribour, comme beaucoup d'autres, s'interroge sur le récent mouvement de Facebook : "quand unilatéralement un acteur décide de faire payer et récupérer les données sans passer par les autorités de contrôle on peut s'attendre à ce que ca évolue."

De son côté, Hervé Ribaud-Shinberg  directeur médias trafic et acquisition d'Intermarché, dans sa stratégie d’achat, a fini par réaliser une stratégie de rééquilibrage pour Intermarché (les autres enseignes ont une stratégie d’achat qui leur est propre). Detox, et non pas suppression, il s'agit de rééquilibrer.

Pourquoi s'être donné cette peine, depuis son arrivée dans le groupe en 2019 ?

"Nous avons été très sensibles en tant qu’entreprise française au rapport du SRI, qui montre que 82 % de la croissance digitale du marché est absorbée par deux acteurs entre 2019 et 2022 et 2/3 de la croissance par 3 acteurs au S1 2023 (Google, Méta, Amazon, Observatoire de l’E Pub, 30ème édition, rapport S1 2023). Nous avons une responsabilité en tant qu’annonceur français., pour rééquilibrer nos achats vers des éditeurs français qui paient leurs impôts, qui engagent des journalistes et sourcent leurs informations. Le divertissement est aussi à soutenir, il a un coût et nous permet d'avoir des programmes de qualité pour insérer nos publicités. Nous sommes œcuméniques, il faut que la démocratie puisse s’accomplir".

Une fois qu'on a pris cette décision, il s'agit de la mettre en pratique.

"Nous avons demandé à Zenith, notre agence, de favoriser les sites Digital Ad Trust dans nos achats en programmatique, qui représente 80 % de nos achats en digital. Nous avons réservé 50 % de nos achats à ces sites, puis 60 %, puis 70%, année après année, aux marques médias qui faisaient cet effort de qualité." Un reportage télé montre qu'Intermarché apparait sur des sites complotistes ? "Si le set-up des campagnes programmatiques n'est pas bien fait, il peut y avoir des débordements :" Le distributeur avait déjà anticipé et pousse un cran plus loin. Intermarché met alors en place une Private Market Place où elle fait entrer 1 500 sites et domaines. "C'est notre cours de récréation, à l’intérieur de laquelle nous réalisons des deals avec les régies." Dans cette PMP, un grand absent : Youtube. "Ils ne répondaient pas aux critères de Digital Ad Trust. Ils m'ont répondu qu'ils s’arrimaient à la norme MRC. Mais nous, nous avons privilégié les normes françaises". Intermarché achète quand même Google Digital Network pour le téléchargement de ses apps. "Il ne s'agit pas d’ostraciser ces acteurs, mais d’en tirer le meilleur parti pour l’efficacité de nos campagnes."

Pour la partie réseaux sociaux, là encore, Intermarché "remet l'église au milieu du village". En 2019, chez Intermarché et dans le Groupement, « on ne savait pas combien on investissait globalement chez Google et Meta. C'était saucissonné par ligne de produits et par marchés chez ces acteurs. Mais pour entreprendre de véritables business reviews, je souhaitais comparer nos chiffres avec les leurs. Je voulais comprendre pourquoi nos investissements sur ces réseaux progressaient autant, et d'où cela venait." Intermarché a donc créé "Mousquetaire Value" une coopération interne pour gérer les savings d’achat d’espace médias inter-enseignes.
Depuis, Intermarché a diversifié ses investissements : "Nous avons été les premiers retailers à investir Snapchat et Tik Tok, en juin 2020". Résultat ? Les investissements d’ITM ont baissé sur Méta, dans une stratégie d’élargissement sous contrainte budgétaire. "Nous avons fait de la place pour les autres parce que leurs publics respectifs, nos consommateurs potentiels les plébiscitaient et surtout, nous avons mis en place une modélisation économétrique qui permet pour chaque levier et chaque média, de savoir, depuis avril 2018, combien 1€ investi nous rapporte en CA incrémental, au-delà des ventes naturelles. On sait hiérarchiser Google, le display, la télé, la radio, la presse, l’affichage et les réseaux sociaux".

Intermarché partage ses investissements en un tiers digital, deux tiers audiovisuel et « autres médias ». Depuis la mise en place de sa stratégie de rééquilibrage, qui a vu baisser significativement les investissements sur Facebook et Google,  "ce faisant, nous avons gagné 24 % de trafic sur notre trafic", mais sans pour autant perdre notre flux de clients, puisque nous avons progressé de +24% sur notre trafic qui est mieux positionné à l’achat e-Commerce" [Janvier-Octobre 2023, NDLR].

Comment ont réagi les plateformes ?

"Ça fait un petit bout de temps que je ne les ai pas vues, même si mon agence les voit régulièrement. Nous leur avons demandé de consolider leurs chiffres et on va pouvoir très bientôt faire une business review avec eux".

A noter : Intermarché investit environ 30 % chaque année dans des innovations.

Une personne présente à la matinée demande à Hervé ce qu'il pense du pilotage automatique des campagnes chez Google. "On a du mal à valider le fait que ces offres soient efficaces ou non : on ne peut pas poser de pixel de tiers-mesureurs indépendants chez les GAMAM, et on doit attendre le trimestre échu pour lire les résultats dans notre modélisation économétrique". CQFD. Enfin, le responsable Medias d'Intermarché alerte le marché : "Vous parlez beaucoup de contacts, d'impressions, mais ce sont des leviers, des moyens, pas une fin en soi. Ce qui nous intéresse, nous en tant que Retail, c'est le CA incrémental que génèrent nos campagnes".

Christophe Parcot, senior Advisor de Mc Kinsey, s'exprimait en son nom, avec son expérience d'ancien dg de Yahoo, qui a vécu aux premières loges ces abus de pouvoir. "L'inventeur du search marketing était Overture. Google a dû payer 300 M$ pour avoir enfreint les brevets. Ce qui me frappe, c'est la naiveté de l'écosystème et du régulateur, face à la puissance de Google. J'ai témoigné devant la commission suite aux procès des comparateurs de prix. Yahoo avait été racheté par Kelkoo. Aussitôt, il a disparu des réponses du moteur Google. "Ca perdait 50 %, ça remontait de 10 % ca reperdait 30 %. Microsoft avait racheté Ciao, j'ai prévenu que son trafic allait disparaitre. A l'époque, les commissaires s'interrogeaient sur l'existence de la position dominante : Google avait déjà 90 % de part de marché !La position dominante était une évidence. Il a fallu 20 ans pour établir cela. A signaler aussi, la lenteur et la pusillanimité de la justice : le procès a mis une dizaine d'années à aboutir. Et le procès anti trust de Google est à huis clos, alors qu'il concerne le monde entier ! Les amendes sont indolores. Google figure aujourd'hui dans le top 50 des PIB mondiaux. Les amendes vont chez les régulateurs mais n'indemnisent pas les victimes. Il faut  qu'elles fassent un procès à leur tour. Enfin, il faut souligner la perte de valeur pour le marché : Kelkoo a été racheté 500 M en 2005 a perdu 80 % de son trafic parce que Google a mis Google shopping en avant. Kelkoo a ensuite été revendu 75 M$. "

Interrogé sur l'issue du procès,US, l'an prochain, et l'hypothèse d'un démantèlement, soulevée aussi par l'America Act   : "Microsoft a échappé au démantèlement. J'ai de gros doutes que la justice contraigne Google à se séparer de ses autres domaines." Christophe Parcot encourage les acteurs présents à utiliser les alternatives, comme Equativ, et de s'associer davantage pour faire pression.

L'avocate Fayrouze Masmi Dazi est aussi revenue sur la réglementation européenne. Le DMA est progressivement applicable cette année. Depuis le 6 mars dernier, les annonceurs et les agences peuvent accéder chaque jour aux données de plateformes : prix pratiqués, frais techniques, rémunération de la publicité. Ainsi que des données agrégées ou non, sur la manière dont les utilisateurs consultent les services des marques. L'avocate poursuit : "Google et Microsoft ne vont pas contester leur statut européen de gatekeeper, car ce statut va leur permettre aussi de se positionner sur de nouveaux marchés. Apple va ouvrir son OS, et "Google et Microsoft ont tout intérêt à saisir cette opportunité".

Chantal Rubin, Cheffe du Pôle Régulation des Plateformes numériques Ministère de l'Economie, est revenue sur le Digital service act et le digital market act.

A l’époque des négociations, une partie du Parlement européen était très engagée pour réduire les techniques de marketing de ciblage. Le DSA met en place une nouvelle approche de régulation : "On ne peut pas contrôler chaque message publicitaire, mais on demande des comptes sur la gestions globale des systèmes d'information et des algorithmes. Les grandes plateformes devront rendre des compte sur les risques qu'elles font courir à la société civile."

Master piece du DSA  : les plateformes seront tenues responsables des risques engendrés par leur système publicitaire. L'article 39 renforce l'obligation de transparence. Les plateformes doivent entrer dans un registre public toutes les données liées au flux publicitaire : contenu, date, sponsor, ciblage, reach. Le registre public est en train d'être mis en place. Seul Apple  l'a contesté.

Les services d'intermédiation publicitaires (les plateformes) sont dans le DMA . "La commission hésitait, la France plaidait pour. "Les régulateurs européens ont voulu poursuivre deux objectifs : restreindre le pouvoir de la data et établir la transparence sur les prix, la rémunération et les Metrics. L'article 5.2 interdit aux Gatekeeper d'utiliser des données d'autres services de leur groupe. Avec une limite : le consentement de l'usager. Un dilemme illustré par Facebook avec son choix : payer 15 € ou tout abandonner. Il est encore trop tôt pour savoir ce que les régulateurs vont statuer sur la décision de Meta (voir notre revue de web).

Côté transparence, les articles 5.9 et 5.10 obligent les Gatekeeper à la transparence sur les prix. Les clients pourront faire auditer par un expert indépendant les metrics fournies par le Gatekeeper.

L'article 6.10 impose aux jardins clos de donner aux entreprises les données de traitement algorithmiques en temps réel, de leur ad exchange et de leurs serveurs. Pour Chantal Rubin, "Ça c'est le principe. Mais dans la pratique, dans la chaine de l'ad tech, on risque d'avoir de la donnée personnelle, et se heurter à la règle du consentement".  DSA DMA sont des premières pierres. "Entre ne rien faire et démanteler, il y a un milieu. Le DMA offre des pistes d'actions réalistes. En suivant trois principes : interdire l'auto -préférence, l'inter-opérabilité, et l'ouverture des salles garden".
Pour Fayrouze Masmi Dazi : "La commission européenne souhaite que les acteurs se mobilisent et demandent cette information, qui, comme on l'a vu avec le témoignage d'Hervé Ribaud-Shinberg, est l'exception plutôt que la règle.

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