Qui ?
David Baranes, Co-fondateur d'Armis
Quoi ?
Une tribune pour répondre à celle d'Olivier Lefèvre de One Point (ici), qui a fait beaucoup de vagues chez nos lecteurs.
Comment ?
Le Gartner n’est pas infaillible et ses prédictions sont loin de toutes se vérifier. Mais il en est une sur laquelle on peut sans crainte miser jusqu’à son dernier cryptocentime : pour chaque avancée technologique, il se trouvera toujours des grincheux pour en minimiser la portée et en critiquer les promesses excessives. C’est ce que le cabinet appelle le « gouffre des désillusions », une sorte de passage obligé sur la voie de la maturité de l’offre comme de la demande. Après avoir suscité les espoirs les plus fous, l’intelligence artificielle (IA) est aujourd’hui dans cette phase, aussi prévisible et pénible qu’une crise d’adolescence. Moins cette phase durera, mieux ce sera pour tout le monde.
La crise d'ado
L’argument principal des détracteurs de l’IA ? Il faudrait tant de données et de paramétrages pour répondre à un micro-problème, que personne ne serait en mesure de bien l’utiliser, et encore moins d’en tirer un quelconque bénéfice. Dès lors, ceux qui la vendent sont des charlatans, et ceux qui l’achètent, des gogos. Cette rhétorique est non seulement fausse, mais préjudiciable.
Certes, l’IA est un outil sophistiqué et il ne suffit pas de bidouiller quelques tableaux Excel pour se prétendre Data Scientist. Et, certes, il faut lui assigner un but précis pour qu’elle se révèle vraiment utile. Même si l’on peut sans doute en dire autant d’à peu près n’importe quel outil. Mais l’IA fonctionne, les entreprises l’ont adoptée et elle leur permet d’ores et déjà de repousser les limites de leurs possibilités. Il y a trois ans à peine, il était inimaginable pour une enseigne nationale de réaliser une campagne en ligne différenciée pour chacun de ses points de vente : elle aurait dû mobiliser des dizaines de personnes pour piloter chaque sous-campagne de façon coordonnée. Aujourd'hui, avec une bonne méthodologie et les bonnes données, une intelligence artificielle peut tenir ce rôle, avec beaucoup plus d'efficacité que l'humain. C’est une réalité, un outil qui existe et qui aide le commerce physique à reprendre pied dans les territoires. A titre d’exemple, Monoprix, Intermarché, Bricomarché ou Bricorama ont déployé avec nous des solutions d’IA pour leurs campagnes de publicité multi-locales. Elles ont constaté les effets positifs sur leurs ventes (1 euro investi pour 10 de chiffre d’affaires). Et engagent des plans de transformation allant vers la réduction de leurs dépenses en catalogue d’environ 30% pour trouver le meilleur mix print / digital.
Pour fonctionner, l’IA a besoin de données, d'un vecteur d’expression technique pour ses résultats et d' algorithmes. C’est pourquoi la publicité en ligne constitue un champ de développement idéal pour l’IA. Elle possède des données en abondance (de son prix à son format, chaque bannière véhicule une centaine d’indicateurs exploitables). Des quantités d’éléments peuvent être automatisés ou ajustés dynamiquement tout au long du processus (prix, contenu, décisions…). Il suffit pour cela de créer des algorithmes qui sauront détecter l’information, l’analyser et agir en conséquence, ce qui nécessite naturellement une collaboration étroite entre des spécialistes du métier et des experts du traitement des données et de l’algorithmique. Or, la France regorge de telles compétences.
L’« IA bashing » est préjudiciable. La France possède une tradition mathématique reconnue, les meilleures formations en sciences des données (Master MVA avec l'ENS, Master IA Ecole Polytechnique / ENSTA, Master BigData Telecom Paritech, …). Quelques-uns des plus brillants spécialistes de l’IA au monde et un foisonnement de startups qui bénéficient de ces talents pour se développer. Pour ne citer qu’elles, Criteo, Tinyclues, Adomik, Scibids optimisent avec l'IA les budgets dans la publicité en ligne. Partout dans le monde, les start-up sont regardées avec méfiance lorsqu’elles prétendent faire de l’IA, sauf lorsqu’elles sont françaises. Notre écosystème tire de cette crédibilité un véritable avantage concurrentiel. Laisser entendre que personne, hormis peut-être les GAFA, ne pourrait avoir l’envergure suffisante pour faire sérieusement de l’IA, revient à fragiliser un écosystème en plein essor.Personne n’a jamais prétendu que l’IA était une potion magique ou un jeu d’enfant, qu’il suffisait d’ouvrir la boîte pour faire pousser l’argent sur les arbres.
Mais elle a malgré tout un gros avantage sur le Père Noël : elle est bien réelle.
David Baranes