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11/12/23

Paru dans la newsletter du

La fin des cookies, un danger de mort pour les médias ?

 Qui ?

Alexandra Mauraisin, directrice adjointe de la marque La Poste, Etienne Drouard (en photo), avocat associé chez Hogan Lovells, Hélène Chartier, directrice générale du SRI, Guillaume Klossa, Conseiller spécial du VP de la Commission européenne en charge du numérique (2018-2019), Nicolas Deffieux, Rapporteur général adjoint, Autorité de la concurrence, Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’Union des Marques, Philippe Balladur, Directeur Media France de Coca-Cola.

Quoi ?

« Jardins ouverts/Jardins clos : la grande bascule » organisé par Petit Web le 12 mars 2020 au siège de La Poste avec le soutien de Freewheel , Alliance Gravity, la Poste, M6 Publicité, Orange Advertising, le SRI (Syndicat des Régies Internet), TF1 Pub, Teads et Xandr. Et la première bascule : la fin des cookies.

Comment ?

La mort annoncée des cookies, rouages essentiels de la publicité on line, bouleverse la totalité de l’écosystème digital. Un durcissement de la régulation par la Cnil aggrave encore la menace. Après une année 2019 positive, 2020 s’annonce nettement plus problématique. Quant au sujet de la régulation des nouvelles technologies et des médias, il est plus sensible que jamais. Les annonceurs, eux, veulent de nouvelles normes pour mesurer les taux d’impressions non qualitatives.

Pas déprimée mais inquiète. Alexandra Mauraisin, directrice adjointe de la marque du Groupe La Poste, a posé LA question cruciale qui agite l’écosystème de la publicité digitale : quel va être le modèle d’après cookie, dont la mort est annoncée d’ici deux ans ? « Il y a des annonces faites par Google (en 2022, son navigateur Chrome n’acceptera plus les cookies, ce que font déjà Safari et Firefox) et on peut s’inquiéter des annonces de la Cnil. Peut-être n’avons-nous pas bien fait notre travail qui est d’expliquer que la publicité ne peut pas être gratuite et qu’elle n’est pas un mal, encore moins quand elle est adressée ». En effet, de plus en plus d’internautes installent des ad blockers (environ 30 % selon GlobalWebIndex, un chiffre en progression), empêchant le visionnage des bannières ou des vidéos des marques. Et si les cookies disparaissent, toutes les informations permettant de personnaliser les annonces publicitaires disparaissent avec eux. « Quels vont être demain les modèles économiques pour notre activité ? Comment médias et annonceurs vont-ils pouvoir continuer à déployer des campagnes publicitaires performantes sans retomber dans des écosystèmes qui soient des jardins fermés ? » s’interroge Alexandra Mauraisin.

L’aspect législatif est clé pour l’avenir de la pub digitale. Or, la Cnil (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés), le régulateur de l’usage des données personnelles, penche pour des mesures drastiques encore plus sévères que celles du RGPD (Règlement général sur la protection des données) selon Étienne Drouard, avocat associé du cabinet Hogan Lovells, qui a déposé un recours contre la CNIL au nom de l'inter-profession, qui va être jugé sous peu. « La tectonique technologique de la pub digitale est aujourd’hui modifiée par des mouvements réglementaires. Depuis que les sujets de vie privée existent, ils ont toujours été instrumentalisés, pour un enjeu régalien, technologique ou économique. En ce moment, on a tout à la fois » analyse l’avocat.

Un recours contre les lignes directrices de la Cnil relatives aux cookies a été déposé devant le Conseil d’Etat en septembre 2019 par neuf associations professionnelles (1) représentant 90 % des acteurs du secteur. Et les choses évoluent rapidement. Le 3 mars, la section du contentieux du Conseil d’Etat s’est réunie pour étudier les arguments de la Cnil et de l’interprofession. « Mais au lieu de fixer une date d’audience, elle a décidé d’une deuxième séance d’instruction. Ce qui veut dire que le différend ne va pas être jugé par la section du contentieux mais par l’assemblée plénière du Conseil d’État » précise Étienne Drouard. Cette décision prouve que le recours est pris au sérieux. Le conflit concerne principalement les modalités du consentement de l’internaute. « On peut accepter, refuser ou retirer son consentement dit la Cnil. C’est faux. Dans la réglementation européenne, on peut accepter le consentement et ensuite le retirer. Ce n’est pas prévu qu’on puisse le refuser. Soit on le donne, et les données peuvent être traitées, soit on le retire ensuite, et ce traitement des datas s’interrompt » explique l’avocat. Si ce nouveau droit au refus créé par la Cnil devait se juxtaposer au consentement, il faudrait alors poser la question « oui ou non, acceptez-vous les cookies ? ». De plus, selon la Cnil, si l’internaute répond non, le prestataire n’aurait plus le droit de reposer la question pendant six mois. Une situation ubuesque : « dans ce régime, on vous interdirait de poser la question que vous avez l'obligation de poser. Un régulateur a pour obligation de respecter la loi, pas de l’inventer ». Maître Drouard crache des flammes. Chacun le sait : lorsqu’on demande aux gens de répondre par oui ou non et qu’ils ne savent pas vraiment de quoi on leur parle, ils ont tendance à répondre massivement par la négative. Les médias pure players, qui dépendent à 90 % de la publicité digitale, seront les plus impactés si la Cnil a gain de cause. Et à l'heure de la bascule du Coronavirus, la société a besoin d'informations de qualité « Le cookie est le seul élément liquide qui peut faire circuler l’information, comme l’oxygène dans le sang. L’enjeu derrière la régulation du cookie, c’est de savoir s’il nous reste un support de valeur qui peut circuler entre les acteurs » conclut l’avocat. Heureusement, la Commission Européenne est consciente de ces enjeux. Et la Cnil pourrait être tentée de lui refiler la patate chaude. Celle-ci devrait se réunir le 19 mars sur le sujet de la directive ePrivacy, qui durcit les mesures du RGPD en réclamant le consentement explicite pour tout traitement des données personnelles. Or, Thierry Breton, nouveau commissaire européen en charge du marché unique, de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace, pourrait redémarrer d’une feuille blanche, et revenir à la ligne définie par le RGPD, celle de l’intérêt légitime (si vous démontrez que vous protégez les données personnelles, pas besoin de consentement). L’espoir reste permis.

En 2019, le marché de la publicité a bien progressé, « mais 2020 s’ouvre sur un contexte très compliqué » a rappelé Hélène Chartier, présidente du SRI, pour qui cette année sera celle « du grand chamboule-tout ». Les quatre grandes familles du marché publicitaire digital ont progressé : le search (+ 9 %, 42 % du marché), le social (+21 %, 25 % du marché), le display (+13 %, 20 % du marché) et les autres leviers (+7 %, 13 % du marché). Nouveauté de l’Observatoire de l’e-pub 2019, une analyse plus fine du display, un marché très hétéroclite. Le cabinet Olivier Wyman a distingué quatre catégories : édition et information (491 M€, +4,9 %), streaming vidéo et musical (304 M€, +16,3 %), retail et services (217 M€, +30,6 %) et TV et radio (153 M€, + 10,3 %). « Cette année, la vidéo est devenue le premier format de l’e-pub, suivie du programmatique, une tendance qui va ruisseler sur les autres médias » estime Hélène Chartier. Ce qui ne bouge pas, c’est la concentration du search (dominé par Google) et du social (Facebook et Instagram), qui pèsent 77 % du marché. Malgré ses bons chiffres pour 2019, la publicité digitale se trouve aujourd’hui « entre le marteau et l’enclume : les recommandations de la Cnil qui signent la fin des cookies tiers, la directive ePrivacy et les annonces de Google sur la suppression des cookies en 2022. Il faut réinventer ce marché. Les cookies et les traceurs sont indispensables à notre écosystème pour mesurer, capper, attribuer. Il va falloir d’ici 2022 faire la même chose, avec une nouvelle technologie qu’on ne connaît pas encore » avertit Hélène Chartier.

Programmatique, intelligence artificielle, blockchain : ces nouvelles technologies affectent les médias. « On s’est rendu compte assez récemment que pour que la démocratie libérale et l’économie sociale de marché fonctionnent bien, il faut deux choses : une identité partagée et une information de qualité, et donc un écosystème médiatique fort. Or celui-ci est en train de s’effondrer » analyse Guillaume Klossa, Conseiller spécial du VP de la Commission européenne en charge du numérique (2018-2019). Les mutations numériques sont en train de détruire les frontières entre les différents médias (presse, télé, radio), et ça change tout en matière de régulation : « on est en train de préparer les lois d’il y a dix ans et pas celles de demain. La France est en avance pour prendre du retard » résume drôlement Guillaume Klossa. D’où la nécessité de repenser la concurrence et de créer des acteurs européens à vocation globale. Pour l’auteur du rapport « vers une souveraineté médiatique européenne » les GAFA agissent comme les pays européens pendant la colonisation : « elles captent de la ressource, changent les règles des marchés et rapportent les bénéfices chez elles ».

Avec l’IA, cette dynamique va s’accélérer. Car les algorithmes ont besoin de données et de plateformes mondialisées. Mais développer des plateformes européennes comparables aux GAFA ne relève-t-il pas de la pensée magique ? Guillaume Klossa suggère de mettre en place une politique industrielle co pensée par des acteurs encore beaucoup trop fragmentés et par l’Union Européenne, une sorte d’Airbus des médias numériques. De son côté, l’Autorité de la concurrence ne reste pas inerte face aux plateformes, avec par exemple la condamnation de Google à une amende de 150 M€ en décembre 2019 en raison de sa position dominante avec ad words sur le search (voir cet article). « Nous avons annoncé la création d’un service de l’économie numérique, dont le recrutement est en cours, pour tester des algorithmes et faire nos propres Sandbox » explique Nicolas Deffieux, Rapporteur général adjoint de l’Autorité de la concurrence. Reste la question du temps de la prise de décision, toujours très long : « nous avons des cas en cours pour tester une plus grande rapidité du droit de la concurrence ».

Sans attendre que les régulateurs agissent, les associations d’annonceurs ont décidé de lancer la Global Alliance for Responsible Media après la vidéo du massacre de Christchurch diffusée en direct sur Facebook. « Les discussions avec les plateformes ont été un peu difficiles au démarrage mais elles n’ont pas eu le choix » explique Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’Union des Marques. Le sujet des harmful content (contenus nocifs) a été mesuré entre juillet et septembre sur Facebook, Instagram et YouTube, et il y en a eu 9 millions. « Mais sur la même période, les plateformes ont retiré 620 millions de ces contenus avant qu’il ne soient diffusés » ajoute Jean-Luc Chetrit. L'action des plateformes reste insuffisante pour les annonceurs, qui ont pris trois mesures. En premier lieu, une définition ces contenus inappropriés selon 11 critères communs ("cela n'a pas été une sinécure car il s'agissait d'avoir une définition mondiale de l'éthique"). Ensuite, le développement d’outils pour capturer ces contenus avant diffusion. Enfin, un standard agréé par des tiers de confiance pour remplacer l’auto-mesure des plateformes.

Coca-Cola, annonceur majeur, a constaté que 45 % de ses impressions étaient fausses ou inappropriées. « Est-ce normal de payer pour ces impressions non qualitatives ? Les normes IAB et MRC (visionnage de la moitié d’une annonce pendant une seconde pour le display et deux secondes pour une vidéo) nous apparaissent minimalistes » explique Philippe Balladur, Directeur Media France de Coca-Cola. Pendant un an, Coca-Cola a mesuré via un tiers de confiance les résultats de ses campagnes selon cette norme MRC, puis créé ses propres normes personnalisées plus exigeantes (65 % de la surface et 5 secondes pour la vidéo) et observé les résultats. Cette année, la marque de soft drinks va intégrer dans ses discussions avec ses partenaires ces normes maison susceptibles d’apporter plus de visibilité aux campagnes. Enfin, Trust.id, solution française permettant d'identifier et de suivre une campagne tout au long de son cycle de vie, va sans doute devenir globale.

 

1 SRI, IA France, Mobile Marketing Association France, le SNC, l’UDECAM, l’ACC, la FEVAL, l’Union des Marques et le GESTE

 

 

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