Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

La stratégie de Shiseido pour anticiper la disruption dans le secteur de la beauté

Qui ?
Louis Desazars, président-directeur général de Shiseido Group EMEA depuis 2015, après dix ans passés à New-York au sein de ce groupe japonais.

Quoi ?
Le point sur la stratégie du numéro 5 mondial des cosmétiques, qui, outre la marque éponyme, rassemble aussi les parfums Issey Miyake, Narciso Rodriguez, Elie Saab, Alaïa Paris, Zadig&Voltaire, Dolce&Gabbana et Serge Lutens, ainsi que les marques de cosmétiques et de maquillage Laura Mercier, bareMinerals et NARS.

Comment ?

"Dans le secteur de la beauté, la disruption est en train d’arriver très vite, il faut se réveiller" : d'emblée, Louis Desazars donne le ton et fixe l'ambition. Depuis 2015, il est à la tête de la division EMEA du groupe Shiseido, fondé en 1872 au Japon. L'une de ses premières décisions : faire disparaître la filiale "Beauté Prestige International", qui réunissait jusqu'alors les parfums du groupe, pour intégrer toutes les activités dans une entité unique, One Shiseido.

A l'occasion de la vaste réorganisation annoncée à l'automne 2016, trois divisions ont été créées en Europe : the Creators' Corner (en charge des marques), the Business Corner (la direction commerciale et distribution) et the Experts' Corner, qui regroupe des fonctions transverses. Paris est devenu le centre d'excellence mondial Parfum pour le groupe, aux côtés de Tokyo, pour le soin, et de New-York, pour le maquillage. Cette nouvelle architecture est destinée, notamment, à mieux armer Shiseido face au nouvel environnement concurrentiel, tout en gagnant des parts de marché, pour atteindre 9% du marché mondial des parfums d'ici 5 ans (contre 5,8% aujourd'hui).

"Comme tous les secteurs, nous sommes très impactés par la révolution digitale" explique Louis Desazars, avant de détailler les trois dimensions de cette transformation. "On observe l'émergence de nouvelles marques, principalement dans le maquillage, qui en l'espace de quelques années deviennent des leaders de leur marché, grâce au digital et à la puissance de leurs communautés. Les nouveaux réseaux de distribution, notamment les pure-players, gagnent aussi en importance, principalement en Asie et dans les marchés anglo-saxons. Et au même moment, le digital bouleverse le consommateur, la manière dont il dialogue avec les marques, dont il se renseigne et prend ses décisions."

Du côté de la distribution, le groupe Shiseido a pour ambition de réaliser 22% de ses ventes en e-commerce à horizon 2020, que ce soit via ses propres sites, les sites des distributeurs traditionnels ou ceux des pure-players. "La distribution change très vite, mais je ne pense pas que nous réalisons tous à quel point." Pour autant, pas question pour le groupe de commercialiser ses produits partout sur le web : "aux Etats-Unis, NARS vendait sur Amazon : j’ai pris la décision d'en partir. L’avenir me dira si j'ai eu raison. Mais quand on est une marque de luxe, il y a quelque chose d’incompatible à être vendu sur Amazon, ça banalise le produit."

Au sein du groupe, la success-story de NARS Cosmetics, dont Louis Desazars a été le PDG pendant sept ans, est emblématique des bouleversements du secteur des soins et du maquillage : "c'est une marque que nous avons développé sans un dollar de média. Toute sa croissance a reposé sur les influenceurs et les fans. Des pure-players comme Look Fantastic, Net-a-Porter ou Asos ont été de vrais vecteurs de communication." Depuis cinq ans, la marque enregistre ainsi une croissance à deux chiffres.

Si NARS est un exemple concluant, Louis Desazars ne crie pas pour autant victoire : "il ne faut pas se le cacher : à l'exception de quelques marques, le groupe Shiseido est en retard sur les sujets du digital." Même la division parfum, secteur où les barrières à l'entrée sont plus fortes, doit s'adapter aux nouvelles attentes des consommateurs.

Alors que les nouvelles marques "digital native" aux croissances météoriques sont entrées dans la ligne de mire des géants du secteur – L'Oréal vient de racheter successivement les marques IT Cosmetics, CeraVe, AcneFree et Ambi, pour un montant total de 2,5 milliards de dollars, Estée Lauder s'est offert Too Faced pour 1,45 milliards de dollars et Unilever, Dollar Shave Club pour 1 milliard de dollars – Shiseido adopte une approche différente, avec un fonds d’investissement dédié à l'incubation de nouvelles marques, basé au Japon : Shiseido Venture Partners. En Europe, une nouvelle entité, "The Boutique" a vocation à réunir les plus petites marques du groupe. Pour l'heure, seule la marque Serge Lutens, créée en 2000 par l'ancien directeur artistique du groupe et acquise en 2016 y est rattachée.

"Depuis le mois de septembre, nous sommes en train de structurer l'innovation au sein de l’entreprise, parce qu’elle existe à tous les niveaux, du packaging à la distribution, en passant par le contact client ou le produit. Nous définissons les priorités et mettons en place des méthodologies de creative thinking. Aux Etats-Unis, j'ai vu la puissance que ces méthodes pouvaient avoir." Un programme mondial de formation, orchestré depuis les Etats-Unis - le centre d'excellence mondial sur le digital pour le groupe - et géré par l'agence française FaberNovel, va permettre de former au digital 600 cadres des fonctions marketing et commerciales.

Pour innover, le groupe s'appuie aussi sur ses partenaires : les distributeurs, ses fournisseurs et les propriétaires des marques exploitées en licences dans les parfums. La signature en juillet 2016 d'un accord de licence avec l'italien Dolce&Gabbana - qui pratique l'e-commerce depuis 2011 - devrait ainsi s'accompagner d'échanges d'expériences et de bonnes pratiques. "La maison de couture maîtrise la relation consommateur et la donnée : nous allons avoir des discussions sur le partage et l'exploitation de ces informations."

Car l'accès à la donnée est devenu stratégique pour Shiseido : c'est l'un des leviers qui pourrait lui permettre de tenir son objectif de doublement du chiffre d'affaires au cours des dix prochaines années. "En Europe, il faut payer les distributeurs pour avoir accès à leur data... alors qu'aux Etats-Unis, la relation est beaucoup plus transparente et constructive. Ils ont une mine d'informations qui peuvent nous être utiles." A bon entendeur...

Benoit Zante

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