Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

La Facebook alternative à la loupe, ou tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur vos ados

Qui ?
Joëlle Menrath, sociologue, fondatrice de Discours et Pratiques, Sophie Noêl, qui dirige l'agence Heaven et Magali Sombandhit et Elodie Straszko, chargées d'étude.

Quoi ?
Un panorama des usages des nouveaux réseaux sociaux lors du dernier Petit Club à l'UDA : "Quelle vie après Facebook ? Les jeunes sont-ils partis ou sont-ils partout ?"

Comment ?

"En 2008, nous faisions une  conférence chez notre client Microsoft, où nous leur prédisions la  fin de Messenger, qui comptait alors 22 millions d'utilisateurs" se souvient Sophie Noël. "Le phénomène est-il en train de se reproduire avec Facebook ? Nous avons voulu le savoir."
La sociologue Joëlle Menrath travaille depuis dix ans sur les usages des outils numériques et des réseaux sociaux. Pour la Fédération Française des Télécoms, elle a mené une enquête auprès des 12-17 ans : 20 entretiens de jeunes issus de milieux sociaux contrastés, 2 mois d'observation sur les places publiques, dans la rue et à la sortie des collèges et des cafés et la veille de 200 comptes Facebook, 100 comptes Ask.fm, 50 comptes Instagram et 50 comptes Twitter. Pour la sociologue, la découverte de la sexualité est la problématique des réseaux sociaux pour les jeunes.  "La honte délimite les frontières de l'intimité. Les adolescents vivent dans un contexte public par défaut. ils doivent conquérir le sens de l'intime."Reste que, "depuis plusieurs années, ce qui se passe sur Facebook est loin d'une mise à nu ou d'une exhibition de soi. Les pages Facebook participent de la fabrique des apparences contrôlées, les ados se disent en s'habillant que leur jupe de la veille était trop courte… Sur Facebook, c'est la même chose". La pratique du "White walling" - se desinscrire temporairement de Facebook quand on n'y est pas connecté - permet de ne pas avoir de publications en son absence. Dans la présence des ados en ligne, la photo joue un rôle central. Les jeunes ont des dossiers sur chacun de leurs amis. "Et si une photo compromettante parait, l'arme de dissuasion sort de sa cachette, on ressort  la photo de premier communiant que l'on a pioché dans le salon du copain."

Chaque photo postée doit être likée au moins dix fois, "sinon c'est humiliant". "Cette guerre des images est vécue comme une tyrannie du regard. La vogue des autres réseaux sociaux est une manière d'y échapper. Sur Facebook ou Instagram on poste ses photos officielles et sur Snapchat, celles prises sur le pouce". Sur Snapchat, l'image ne laisse pas de trace : elle y a une durée de vie entre 1 et 10 secondes. Si le destinataire copie l'écran l'expéditeur en est informé. Les jeunes interrogés en reçoivent entre 80 et 100 par jour. "Ce sont des photos débridées de soi, photos fantômes ou photos bombes. C'est le grand défouloir, comparé à la tyrannie de la belle apparence exigée sur Facebook. Ces images traduisent le besoin d'insignifiance de cette génération." Les messages envoyés, comme 'ce soir viiite' ne requièrent pas d'attention. "On ne sait pas ce que cela veut dire. Il n'y a pas de sens à trouver. C'est juste une émotion partagée, une éclosion de ressentis corporels, sans mots pour les qualifier." De quoi déboulonner une idée reçue qui voudrait que la vie numérique soit au centre de la vie des adolescents : "Non, la vie numérique est à la périphérie, l'attention des jeunes sur ces réseaux est flottante".

De son côté, l'agence Heaven a mené un micro-trottoir auprès des 12-15 ans. 10 ans est l'âge du premier smartphone (14 ans pour les plus âgés). 13 ans, c'est l'entrée dans l'adolescence sur Facebook. "C'est comme un pass d'entrée dans l'adolescence, cela ne veut pas dire qu'ils aiment être dessus". Mais les jeunes interrogés sont davantage voyeurs que contributeurs, ils ne dévoilent pas volontiers leur vie privée. 70 % ados américains cachent à leurs parents ce qu'ils font en ligne. Du coup, 40% n'utilisent plus l'ordinateur familial mais leur smartphone comme point d'accès. Résultat : les parents pensent que leurs enfants passent 3h par jour sur internet, alors que c'est plutôt 5h.

Dans l'histoire des réseaux sociaux, 2010 est une année charnière. Avec la sortie de toutes les applications sociales qui cartonnent aujourd'hui, comme Kakao Talk, sortie d'abord sur mobile, puis sur Internet… Entre temps, Facebook a modifié son business model et son usage a changé. "Il y a cinq ans on allait d'un statut à un autre. Aujourd'hui, c'est devenu un outil publicitaire. Les ados trouvent qu'il y a trop de marques sur Facebook." Si Facebook est le salon de l'ado, Messenger est sa chambre privée, tout comme Whisper, où l'on peut confier ses soucis.

Que font les marques sur les réseaux ? Certaines ont sponsorisé des questions sur Ask.fm. Mais elles ont arrêté aveprès le scandale d'un suicide d'adolescent et l'appel au boycott qui a suivi. Sur Kakao Talk, elles  peuvent inciter à rejoindre le compte de la marque, contre des coupons de réduction ou des pizzas gratuites. En Asie, des experts Durex ont répondu aux questions en live sur WeChat "Un vrai service, tant les asiatiques sont pudiques sur ces sujets"souligne Magali Sombandhit.  De son côté, Starbuck y proposait une application, permettant à ses clients d'envoyer une émotion. En réponse, la marque de café lui envoyait une chanson adaptée à son état d'esprit. L'opération a permis à la marque de recruter 270 000 abonnés. Le nouveau format de Snapchat, "Snapchat story", qui recense des photos sur 24 h devrait séduire les marques : Juicy Couture l'a expérimenté pour publier les photos des coulisses de son défilé.

Avec ces nouvelles applications, le social media se rapproche du e-commerce, une tendance déjà très forte en Asie (lire notre article sur le sujet) : le Chinois Xiaomi a vendu 150 000 téléphones  en 10 minutes sur WeChat. La China Merchant Bank s'est organisée pour accorder des prêts sur WeChat, sur lequel un conseiller virtuel pouvait également répondre en live. Quant au boys band One Direction, il a vendu 5 000 albums en quelques jours grâce à Kik.

Mais comment utiliser des réseaux sociaux qui sont dominés par des pratiques sexuelles ? Avec humour : Lynx a proposé d'assister aux coulisses d'un événement en envoyant des photos d'eux mêmes. Les réponses ont été particulièrement salées, comme l'avait prévu la marque… Qui leur a envoyé une photo de son gel douche en leur conseillant de prendre une bonne douche froide !
Pour Sophie Noël, "les ados ne sont pas partis de Facebook, ils démultiplient leur présence sur les réseaux. Tout le monde intègre les fonctions de toute le monde, on assiste à une standardisation de l'offre. Ce ne sont plus les fonctionnalités qui vont distinguer les réseaux, mais leur image de marque".  Joëlle Menrath, conclue joliment : " avec cette palette de réseaux sociaux, tous les mouvements de l'âme sont appareillés".

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