Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

X. Perret, Orange : « Tout n’est pas aussi simple que la vision portée par la Silicon Valley »

Qui ?
Xavier Perret, Chief Digital Officer B2B d'Orange France.

Quoi ?
Une interview, à l'occasion de la sortie de son ouvrage "Au secours, ma vie se digitalise! Le scénario est déjà écrit", qui montre comment les scénaristes de films avaient anticipé les grandes évolutions technologiques... et nous invite à réfléchir à leurs implications.

Comment ?

- Que peuvent nous apprendre les films d'hier sur notre société d'aujourd'hui – et de demain ?

Les films ont souvent des sens cachés : ils sont réalisés par des gens qui ont capté les angoisses et les aspirations de leur époque. On me cite souvent Matrix ou Minority Report, mais je préfère analyser et étudier des films qui ont des formes classiques et peuvent même paraître datés quand on les regarde de nouveau aujourd'hui. Rollerball, par exemple, réalisé en 1975, nous apprend beaucoup de choses sur le sport connecté, ou encore Soleil Vert, dès 1973, sur une manière de réinventer l'agriculture, voire l'agroalimentaire. Quant à Fight Club, un film plus récent, il décrit d'une certaine façon l'ubérisation de notre société et l'émergence de ces nouvelles générations qui sont à la recherche de sens et préférent être freelances que salariés anonymes d'une grande entreprise.

- Quels sont les points communs de ces films ?

Ces films ne sont pas anodins et si nous prenons tant plaisir à les revoir, c'est souvent parce qu'ils nous questionnent encore sur notre façon de vivre notre société en tant que salariés, travailleurs mais aussi citoyens. Ce sont d'ailleurs des films très imprégnés de la patte de réalisateurs obstinés (Stanley Kubrick, Steven Spielberg, David Fincher.) voire obsessionnels qui ont poussé leur réflexion très loin, souvent en s'entourant de scientifiques, romanciers, psychologues ou chercheurs.

- D'autres exemples de films visionnaires ?

Pour apprendre ce qu'est un "chatbot", regardez "Her" de Spike Jonze : c'est une illustration de tous les espoirs et les risques que l'on met aujourd'hui derrière les interfaces vocales et conversationnelles que permettent les dernières avancées de l'intelligence artificielle... et qui s'avère très décevant en conclusion. Autre exemple : "Christine" qui dès 1983 pose la question de la voiture connectée et autonome. Dans ce film de John Carpenter, la voiture a une vie propre, elle apprend progressivement, jusqu'à devenir jalouse de la vie de son propriétaire. Le film décrit le passage d'un monde où l'on possède sa voiture à un monde où la voiture est possédée tout simplement, certains dirons par un algorithme. Derrière un film d'horreur qui semble banal, il y a toute une réflexion sur l'évolution de notre société contrôlée par des algorithmes.

- Quelle(s) conclusion(s) tirez-vous de l'analyse de ces films, majoritairement américains ?

Le sujet n'est pas que tel ou tel secteur industriel se transforme : c'est toute la société qui évolue. Il est nécessaire de se poser les bonnes questions. Surtout si ces transformations ont pour fondement des valeurs de la côte Est des Etats-Unis ou de l'Asie, parfois profondément différentes de notre vision européenne de la société que ce soit sur la gestion des données personnelles, leur monétisation et leur valorisation. Il faut expliquer quels sont les modes de raisonnement de ceux qui produisent ces changements et comprendre ce que cela signifie pour nous. Souvent, tout n'est pas aussi simple que la vision portée par la Silicon Valley et les enjeux culturels, économiques, sociétaux sont énormes...

- Comment cette réflexion peut-elle s'appliquer à une entreprise comme Orange ?

En tant que directeur du digital d'Orange sur le marché B2B, c'est une question que nous nous posons tous les jours. Quand Orange met en avant une relation client "digitale et humaine", c'est parce que c'est ancré dans nos valeurs et dans une conception d'une relation client qui ne pourrait se substituer à un modèle 100% algorithmique. Avec l'intelligence artificielle, les robots et les algorithmes, nous passons dans un mode de raisonnement "inductif" : nous avons la conviction que si les nouvelles technologies peuvent automatiser et résoudre les problèmes simples, la relation doit rester in fine humaine. C'est cela que nous attendons en tant qu'utilisateur, consommateur ou citoyens. Les acteurs du numérique se doivent de mener un questionnement sur l'Intelligence Artificielle et son impact sur l'ensemble de la société.

- Quels sont les autres grands enjeux ?

Derrière toutes ces questions, il y a aussi, en sous-jacent, le sujet des données personnelles, sur la façon dont nos informations sont gérées et consultées par d'autres sociétés. Et aussi celui de l'éducation, de nos façons d'apprendre et de collaborer : plus on explique les nouveaux modes de raisonnement du digital - l'utilisation des statistiques, des probabilités, du code informatique - mieux nous serons à même de comprendre comment les utiliser, en cohérence avec nos valeurs et notre stratégie.

Propos recueillis par Benoit Zante

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