Qui ?
Maxime de Baillon, VP growth et data du site de bricolage ManoMano.
Quoi ?
Une interview décoiffante, sur une entreprise qui n'utilise pas la data comme tout le monde, ce qui lui permet de le conquérir (le monde), au lendemain de sa levée de fonds.
Comment ?
Au dernier One-to-One Monaco, vous avez comparé la science de la data à l'enseignement de l'Anglais...
Lors de la mondialisation, la génération de nos parents a appris l'anglais pour s’ouvrir au monde. Aujourd'hui, le langage de la data (être "data litterate") est du même ordre : Ce langage est nécessaire pour avoir une compréhension fine de la réalité dans une entreprise numérique sans passer par un traducteur (un data analyst).
Il y a un an et demi, nous avons eu un débat interne pour savoir s'il fallait démocratiser la donnée à toute personne de l'entreprise. Certains pensaient que les collaborateurs allaient mal utiliser la donnée. Ils voulaient une équipe qui fasse des dashboard avec un système de ticket. Mais ce type de système est très lent, il faut trois jours ou beaucoup plus entre la demande et la réponse. Or, le travail sur la donnée est par nature itératif, une question en entraîne une autre : si on a une augmentation du taux de conversion, on se demande sur quelle catégorie, si c'est la piscine, on va interroger la météo, etc. J'étais parmi ceux qui voulaient rendre la donnée accessible à chacun, dans une logique d'autonomisation. Le partage de la donnée est crucial, dans une entreprise en hyper croissance comme la nôtre. Un tableau de données est la manière la plus dense de transférer l'information. Mais il y a aussi une autre raison, encore plus importante.
C'est aussi une manière de mettre le client au centre, non ?
Effectivement, et c'est la raison essentielle qui a conduit à partager la donnée avec tous les salariés. Nous n'avons pas de magasin pour entendre et voir les gens. Les clients nous donnent des infos sous forme de petites données. En les agrégeant, on a la voix du client. Un AB test nous donne leurs préférences. Un taux de conversion de 5 %, c'est une personne sur 20 qui accepte votre offre... La donnée est la voix agrégée de nos clients.
Comment avez-vous procédé, avec quels outils ?
Les outils classiques d'accès à la donnée, comme Tableau software ou Google analytics, ne vont passez loin. On a pris le parti d'utiliser un outil open source extraordinaire, Metabase, qui est devenu notre réseau social des requêtes SQL (Structured Query Language). Ce type d'outil est utilisé par les développeurs et les data scientists. Nous avons formé toute la société à son usage, avec des modules de 2 h de formation disponibles sur notre intranet, obligatoires. Là aussi c'est comme l'Anglais, on peut déjà prendre un taxi en connaissant 200 mots.
Qu'est-ce que ça a changé ?
Chaque semaine, 100 personnes, sur les 384 de la société, font des requêtes sur la base. Il y a 4 niveaux, et 30 personnes d'autres services ont obtenu le niveau 3, d'analyste avancé, qui est le niveau des gens qui travaillent dans mon service. Du coup, au lieu d'avoir 14 personnes qui peuvent faire des analyses poussées, nous en avons 44. Si vous êtes un bon analyste, vous avez un autocollant sur votre ordi et vos collègues vous poseront des questions. Sans avoir partagé l'accès à la donnée, nous n'aurions pas pu suivre la croissance des besoins en analytics de ManoMano. Nous avons des analyses avancées qui ne viennent pas du service data et nous aident beaucoup à prendre des décisions.
Vous avez développé un véritable savoir-faire, vous pourriez le développer en marque blanche...
Ce n'est pas dans notre mission. Mais on pourrait le mettre en open source ce serait bien utile pour l'écosystème Français..
Votre vision de l'expérience client 3.0, c'est le HTML ?
On est en pleine révolution industrielle. La machine à vapeur a été inventée, il s'agit de la décliner dans la machine à vapeur en utilisant les blocs de techno. On peut déjà construire des choses fantastique, on n'a pas besoin de chatbot de blockchain de DMP, on peut avancer avec de bonnes vieilles technos maîtrisées, le HTML, le PHP, le SQL. Ces vieilles technos, on peut les assembler pour des expériences remarquables. Bien sûr, on peut faire des projets en réalité augmentée, mais ce qui est complexe, c'est d'avoir une vision produit, de comprendre le client. De faire un saut quantique créatif (imaginer que les gens ont besoin de cela) et de le créer. Nous avons un site de bricolage, mais nous avons aussi cette culture de faire par nous mêmes dans le domaine digital.
Quelques exemples ?
ll y a quelques trimestres, nous avons remarqué que nous avions des clients particuliers sur la plateforme, les artisans. Environ 30 000 artisans du bâtiment avaient déjà acheté chez ManoMano alors que l’offre n’était pas du tout prévue pour eux : pas de prix hors taxe, pas de livraison sur chantier…
Nous avons co-construit une nouvelle expérience avec 150 professionnels du bâtiment. Cette nouvelle offre, ManoManoPro est live depuis 3 semaines.
30% des artisans on moins de 30 ans et ont 2-3 fournisseurs en moyenne, chez qui ils se rendent au moins une fois par semaine, voire quotidiennement. Ils sont beaucoup en mobilité (1 h 30 passées dans leur véhicule/jour). Notre but était de digitaliser leur processus d’achat pour les libérer de leurs contraintes quotidiennes, en créant un "One stop shop": un multi-spécialiste en ligne, qui leur évite d’aller chez différents fournisseurs. Nous nous sommes adaptés, en créant une offre de conseillers “Do it for me”, la livraison point relais ou sur chantier, une personnalisation différente de celle des particuliers...
En matière de pub, on a nos propres bidding sur Google, un bureau de trading interne connecté à Appnexus. On utilise le cloud pour avoir de la puissance de calcul il n'y a rien de révolutionnaire dans ce qui nous permet de construire cela. Jusque récemment, une seule personne gérait 30 canaux d'acquisition dans 5 pays (maintenant, ils sont 4). Et c'est possible parce qu'on crée des machines capables de piloter les différents canaux.
A quoi sert votre levée de fonds de 110 M€ ?
Il y trois axes, la place de marché pour les pros (un marché de 200 milliards dont seulement 5 % en ligne, alors que la moyenne est de 18% dans le BtoB), l'international et le recrutement de 100 profils tech de haut niveau européens ou américains.