Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

Le marché de la pub en ligne : concurrentiel ou duopolistique ?

Qui ?
Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence (en photo), Sébastien Missoffe, DG de Google France, ainsi que les intervenants de la matinée Grand Format "Jardins Ouverts, Jardins Clos".

Quoi ?
Le point sur la position de l'Autorité de la concurrence à propos du marché de la publicité et de la data, avec les réactions du marché publicitaire, à l'occasion du Grand Format "Jardins Ouverts, Jardins Clos", organisé par Petit Web chez La Poste, en partenariat avec Freewheel, Gravity, M6 Publicité, RelevanC, le SRI, TF1 Publicité et Webedia.

Comment ?

Après un an et demi d'enquête auprès des différents acteurs de l'écosystème, l'Autorité de la Concurrence a rendu un "Avis portant sur l'exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet" le 6 mars 2018. Isabelle de Silva est revenue sur les raisons de cette enquête : "chaque année, l'Autorité s'intéresse à un secteur en particulier. Pourquoi celui de la publicité en ligne, qui avait déjà fait l'objet d'une étude en 2010 ? Le taux de croissance de ce secteur fait qu'il se démarque des autres. Il génère beaucoup de valeur et, porté par l'innovation technologique, il change très rapidement."

Google et Facebook en situation de duopole

La présidente de l'Autorité de la concurrence a rappelé les principaux enseignements de l'étude : "le marché de la publicité en ligne est dominé par deux acteurs : Google et Facebook. Cette forte présence économique se mesure par leur part de marché, leur taux de croissance, la part de la croissance qu'ils captent ou leurs chiffres d'affaires." Autre particularité : "le marché se caractérise aussi par ses évolutions : d'une année sur l'autre, il n'est pas identique. Le 'social', par exemple, s'est développé très vite." Dans cet écosystème, les données ont une valeur toute particulière : "l'accès aux données et  aux inventaires sont particulièrement importants. Notre conviction, à la sortie de notre étude, est que certaines données ont plus de valeur que les autres, et qu'elles ne sont pas partout. Ceux qui ont les données et les inventaires – Google, Facebook, et Amazon également – ont des avantages forts."

Une situation mise en lumière par le SRI, qui publie chaque année les chiffres du marché de la publicité en ligne, en partenariat avec l'UDECAM et PWC. Les derniers chiffres de l'Observatoire montrent notamment que le "search" et le "social", qui sont principalement incarnés par Google et Facebook, captent 78% des recettes publicitaires en ligne... La situation est d'autant plus marquée dans le domaine de la publicité mobile : "90% du marché de la publicité mobile est préempté par ces deux acteurs" rappelle la nouvelle présidente du SRI, Sylvia-Tassan Toffola. Le "search" et les réseaux sociaux sont, de loin, les contributeurs principaux de la croissance du marché, même si le reste du "display" a repris un peu du poil de la bête en 2017. "Quand deux acteurs détiennent 80% de part de marché, c'est le signe d'un déséquilibre important. Aujourd'hui, personne ne passe 80% de son temps sur Facebook et Google" remarque Fabien Magalon, de l'Alliance Gravity.

La question du marché pertinent

Pour la deuxième édition de jardins ouverts jardins clos, aucun représentant de Facebook n'avait cette fois souhaité participer la conférence. En 2018, c'est Google qui a relevé le défi : Sébastien Missoffe, son DG France, a pris la parole en début de matinée. "En France, le marché de la publicité est concurrentiel" a-t-il expliqué, tout en cherchant à montrer, par l'exemple, comment Google était ouvert : pour les utilisateurs (l'inscription n'est pas nécessaire pour effectuer des recherches), pour les annonceurs (les outils Adwords ont permis à des milliers de petits annonceurs d'accéder à la publicité), pour les concurrents (DoubleClick Search permet de mener des campagnes dans l'univers Bing) et dans le domaine des données (Google Trends contribue au partage des données de "search").

Autre point mis en avant : dans les chiffres de Google en France, sont intégrées les campagnes menées par tous les annonceurs français, y compris celles à destination des étrangers. Par exemple, "les clics qui sont faits par les touristes dans le monde entier sont comptabilisés dans le marché du 'search' français." Les comparer directement avec ceux de la télévision, de la presse ou même du display, serait donc incohérent.

Le Directeur Général de Google en France souligne une particularité du modèle d'affaire de Google : sur le display, la plateforme s'appuie sur un réseau d'éditeurs, le Google Display Network, pour le compte desquels elle encaisse les revenus. "71% des revenus du display  est reversé aux éditeurs. En 2017, c'était 12 milliards. Google ne joue qu'un rôle de passeur sur la majorité de ces investissements."

Sébastien Missoffe s'est montré le plus offensif sur la notion de marché pertinent. "On mesure l'avenir avec les tableaux de bord d'hier. En mettant le digital dans une catégorie à part, on prend un risque" explique-t-il, avant de saluer la volonté du SRI de rapprocher les revenus du digital de celui des autres médias et le projet du CESP de comptabiliser le search dans la catégorie "annuaire".

"Quand on analyse les médias traditionnels,  21 millions de Français  regardent M6 via 6Play : cela n'a plus de sens de les comptabiliser en digital. De même pour la presse : une grande partie de nos habitudes de lecture se sont déplacées sur internet." Pour Google, la télévision de rattrapage devrait donc être intégrée aux revenus de la télévisions, les sites de presse en ligne, à la presse et les liens sponsorisés... aux annuaires. Avec ces répartitions, la notion de duopole disparaîtrait, puisque Google et Facebook opéreraient dans deux marchés bien distincts, eux-mêmes   sous-ensembles d'un marché publicitaire bien plus large. Et la télévision redeviendrait le média roi des investissements.

Pour Isabelle de Silva  la définition du "marché pertinent" est également fondamentale dans la poursuite des travaux de l'Autorité de la concurrence. En fonction du périmètre retenu, les acteurs en présence sont plus ou moins forts, et pourraient donc échapper aux accusations d'abus de position dominante. "Le social est-il un marché ? Cette question n'a pas encore été tranchée en France. Mais en Allemagne, l'Autorité de la concurrence locale estime qu'il y a un marché des réseaux sociaux, qu'elle a défini. Et l'Union Européenne a défini un marché du 'search', sur lequel elle estime que Google est en position dominante."

Des investigations préliminaires dans les prochains mois ?

Outre la question du duopole, le marché de la publicité en ligne est marqué par une intégration verticale de la part de certains acteurs, comme Google, présent à la fois dans le domaine des données, des inventaires et des outils à destination de l'écosystème. "Ceux qui sont présents sur l'intermédiation disposent aussi d'avantages particuliers" constate pudiquement Isabelle de Silva. A demi-mot, c'est aussi un message à destination des agences médias : "les notions de transparence et de confiance sont revenus souvent dans l'enquête. Est-ce que la part de valeur récupérée par tel ou tel intermédiaire est bien justifiée ? Est-ce qu'on est totalement sécurisé sur la réalité et l'efficacité de la prestation ?"

Un sujet dont s'est saisi Raphael de Andreis, président de l'UDECAM depuis septembre 2017 : "La transparence permet de remettre la valeur là où elle est. Les agences médias ont eu des difficultés à le faire. Je suis assez sévère avec les annonceurs qui ont laissé faire ça. Aujourd'hui, il faut arriver à quelque chose de plus juste, inspiré de la création et du consulting : tout travail mérite salaire." Un combat partagé par Mathieu Morgensztern, chez WWP : "Il faut revenir à la vraie valeur ajoutée des intermédiaires. Le sujet est celui de la transparence de la valeur et de la transparence financière. Est-ce que les intermédiaires ont une valeur ajoutée qui justifie leurs prix ? Il faut franchir un cap de transparence financière absolue. Quels que soient les acteurs concernés."

Dans les mois à venir, l'Autorité de la concurrence pourrait ouvrir des investigations préliminaires, "pour creuser si dans les comportements énoncés, il n'y a pas des choses qui peuvent tomber sous le coup du droit de la concurrence" explique Isabelle de Silva. Pour l'heure, personne ne l'a saisie : si le marché ne réagit pas, ce sera donc une auto saisine, à la procédure plus lente. "Beaucoup d'acteurs nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas nous saisir, car ils étaient en relation d'affaire avec certains acteurs contre lesquels ils avaient des griefs. Ils pourraient nous saisir, mais ne le font pas."

Des enjeux plus larges que le seul droit de la concurrence

A ces sujets de concurrence, s'ajoute celui de la fiscalité : "un sujet à régler prioritairement" estime-t-elle, s'exprimant à titre personnel, puisque cela n'est pas du ressort de l'Autorité de la concurrence. "Comme dans un secteur comme celui de l'hôtellerie, on change d'ère : les acteurs anciens sont soumis à des règles historiques, alors que d'autres interviennent sous d'autres modalités et ne sont pas soumis à ces règles…"

Autre enjeu de régulation : celui des données personnelles. "Nous avons été impressionnés par certaines utilisations des données que faisaient certains acteurs. La confiance des internautes pourrait être fragilisée. Cette confiance peut être rétablie par des actions de régulation." L'Autorité suivra avec attention la mise en place de la GDPR, mais surtout les discussions en cours autour de la directive "e-Privacy" : "il y a un enjeu concurrentiel derrière : ces réglementations sont prises pour le respect des internautes, mais nous tenons à souligner le fait que selon la façon dont la règle est définie, certains peuvent être favorisés au détriment d'autres."

Le contexte serait même plutôt favorable aux autorités européennes : jusqu'alors, une régulation ou des condamnations d'acteurs américains aurait pu entraîner sur une crise politique et diplomatique. Désormais, même le régulateur américain a conscience qu'il doit intervenir, comme l'ont montré les déclarations très rapides de la FTC à l'encontre de Facebook, à la suite de l'affaire Cambridge Analytica. "Nous sommes probablement à l'aube d'un changement : après une période de laisser-faire, aux Etats-Unis, la nécessité d'une intervention semble établie."

Mais l'Autorité de la concurrence française est-elle en capacité de réagir suffisamment vite pour réguler les distorsions de concurrence, avant que ceux qui les subissent ne mettent la clé sous la porte ? "L'affaire Google Shopping a participé d'une prise de conscience que les différentes autorités de la concurrence devaient mieux travailler ensemble, pour aller plus vite. C'est l'une de nos priorités sur le marché français : pouvoir intervenir dans des délais beaucoup plus raisonnables, pour éviter que les acteurs aient disparus avant qu'on ait rendu une décision." Et de conclure : "Dans les prochains mois, nous verrons si on doit s'intéresser à certaines pratiques. Vous le saurez très vite."

Benoit Zante

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