Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

La webcampagne 2012 aura-t-elle lieu ?

Qui ?
Nicolas Vanbremeersch (@versac), blogueur politique et fondateur de Spintank.

Quoi ?
Les politiques français ne mobilisent pas en ligne comme les Italiens ou les Anglais. En revanche, l’extrême-droite paraît avoir mieux compris le mode d’emploi du Web social, décortiqué ici par l’un de ses spécialistes.

Comment ?


En 2007, gérer une campagne web c’était avant tout savoir maîtriser l’e-marketing, d’une part (un bon CRM, de l’emailing en masse) et composer avec un espace public alternatif, fabriqué par l’irruption d’une masse de citoyens, d’autre part (souvenez-vous, les "blogueurs"). En 2011, si le e-marketing reste évidemment présent, la deuxième dimension s’est transformée. D’un espace public alternatif, lieu de rassemblement des sans-voix, d’une culture différente, le web est devenu un espace public central, lieu d’information, de partage et d’expression de la masse.
Evidemment, c’est Facebook et Twitter qui retiennent l’attention. Et les responsables de campagne de s’interroger : comment mobiliser la capacité de médiatisation de soi et de partage que pratiquent quotidiennement 20 millions de Français ? L’enjeu se déplace. Il s’agit moins de composer avec quelques centaines de media et blogueurs que de tenter de nourrir un flot continu, permanent, de partage commenté.
L’enjeu, pour les équipes de campagnes, est de devenir media : savoir nourrir, en continu, cette activité de partage social de contenus aptes à être partagés, transmis, diffusés, parce que valorisants. Habituées à surtout émettre ou relayer du contenu d’actualité sans grand potentiel mobilisateur, les équipes de campagne doivent se placer dans la même logique que les media professionnels : comment mobiliser une audience, donner à partager, susciter l’intérêt, et surtout, la transmission aux pairs.

Le deuxième cercle : passer à l’engagement
De la mobilisation d’un premier cercle de militants investis de manière permanente et organisée, il faut  passer à celle d’un deuxième cercle, qui forme sa mobilisation de manière plus épisodique, à la carte, se saisissant de ce que Jean-Louis Missika appelle les marches intermédiaires de la participation politique. Le pouvoir de transmission de quelques millions de Français à leurs amis est devenu immense. On reste néanmoins sur sa faim : les échecs récents des Créateurs de possibles ou de la Coopol ont créé comme un désintérêt, un manque d’attention pour ce deuxième cercle, pointant la difficulté à le fidéliser. De fait, sur Facebook, on ne compte que quelques dizaines de milliers de fans autour de chaque parti ou candidat (23 000 pour François Hollande, 12 000 pour Eva Joly, 14 000 pour François Bayrou, 25 000 pour Marine Le Pen…). Un vrai cercle de fans, réduit, bien éloigné des scores qu’on peut voir chez nos voisins : des centaines de milliers en Italie ou au Royaume-Uni.
Songeons à Nichi Vendola, en Italie, qui, avec ses 522 000 fans, peut se targuer de dépasser Nicolas Sarkozy (486 000 dont il faudrait étudier précisément combien de Français ont eu le comportement schizophrène de dire qu’ils « l’aiment » avant de déverser des torrents de bile en commentaires sur son wall). Vendola n’annonce pas ses passages télé du lendemain, ne fait pas de simples liens vers des discours émis : il parle directement et mobilise, suscite l’indignation et tourne vers l’action. Il est présent, actif, engageant. Chaque statut est à partager avec ses proches. C’est dans le discours, sa forme, que tout se joue, pas dans les outils.
Les Français sont ils si pudiques à afficher publiquement leur soutien ? Ou manque-t-il  une offre engageante, adaptée à ces nouvelles pratiques de partage et de mise en scène de soi ? Selon moi, nos candidats, aujourd’hui, restent dans des approches de campagne classiques, qui manquent un objectif, celui de la mobilisation éphémère des capacités de partage. Il faut ré-apprendre à éviter l’évitement, à susciter l’intérêt, et à engager derrière soi, là où des années de relations avec les media ont trop appris à éviter, ne pas dire, contourner.
La solution est simple, il s’agit de prendre les media sociaux pour ce qu’ils sont : media pour la nécessité de production de contenus, de packaging de l’information ; sociaux et donc mobilisant la capacité relationnelle. Si les équipes de campagne pensaient plus Facebook comme un immense marché sur lequel tracter, et moins comme un appendice de la télévision, peut-être y réussiraient-ils plus franchement.

Une nouvelle synchronicité des media
Twitter a profondément affecté les politiques. La centrifugeuse de l’info est évidemment une cheville majeure du paysage politique : la capacité d’entraînement sur l’agenda est désormais prouvée, dans les deux sens. On sait que mobiliser Twitter sert à la couverture media du lendemain. Les politiques se précipitent sur Twitter ? Cela pourrait, si l’on se prenait à railler, être perçu comme un symptôme clair de l’absence des citoyens : ils y retrouvent enfin des journalistes ! Twitter est à ranger dans de nouvelles formes de travail des media, et de l’écume de l’espace public : c’est important, mais ce n’est pas le fait nouveau.
Le fait nouveau, c’est la persistance des valeurs du web,  sa capacité de déstructuration de l’espace public. Sous le partage frénétique de Twitter, sous le linking pratiqué sur Facebook, il y a encore, et toujours, une infinité de pratiques disparates d’échange. Il y a toujours une fragmentation qui s’opère, des regroupements par affinités, la constitution de pôles de poids dans l’espace public. Le plus significatif d’entre eux est évidemment à aller chercher à l’extrême droite : si le web devait amener une surprise, au sens d’un impact sur l’opinion proche de celui de 2005, il sera sans doute à aller chercher de ce côté. La capacité de diffusion et normalisation des idées de la fâchosphère est vraiment significative. Sa capacité à agir sur l’agenda a été prouvée et continue à l’être, dans de nombreuses observations que nous menons sur la circulation argumentaire en ligne. Logique : fdesouche ou nastionspresse.info, ces pôles d’animation de l’extrême droite en ligne, savent jouer des codes du web, de la mobilisation éphémère à la normalisation par l’affirmation en réseau.
Sous le web du partage léger, sous Facebook et Twitter perdurent en effet ces multiples pratiques, de la contre-information, du déminage, du linking, de la production argumentaire apte à émerger en permanence, ou tout simplement à se répandre de manière quasi invisible. Nouveau défi posé aux acteurs politiques : comment parvenir à se connecter à ces multiples poches affinitaires, et mobiliser leur temps de réunion et d’attention ? Et si cela passait déjà par un discours qui en tienne compte ?

Les trois défis
Le temps d’une campagne politique de l’engagement et d’un renouvellement de la narration politique est donc venu. On le sent poindre, parfois, mais avec parcimonie, et l’on doute de ce que cette campagne soit celle où des politiques parviennent à prendre, comme on l’avait dit d’Obama en 2008, la mesure du web.
Trois défis sont à mener en parallèle. Le premier, c’est celui du temps : les campagnes web sont prises dans un étau absolu, entre la nécessité de la veille-riposte en hyper temps-réel (où la circulation sur Twitter peut effectivement faire mal – ou bien - très vite) et la nécessité de temps longs (pour développer, concevoir les outils et dispositifs de fond qui vont modifier la donne).

Le deuxième, celui du lien avec le reste de la campagne : il faut à la fois savoir faire du web la colonne vertébrale de la campagne, être son premier média, et garder l’autonomie nécessaire pour parvenir à innover.

Le troisième défi,  celui des compétences : il faut savoir composer celles du contenu, de la veille, du design, dans un mouvement fort, qui lui donne une capacité d’impulsion.
La webcampagne est une métaphore des défis qui se posent à toutes les organisations aujourd’hui. Les campagnes présidentielles ont une capacité d’impulsion et de changement dans les pratiques de communication. Espérons que celle-ci nous permettra de suivre quelques réelles innovations, expériences réussies, qui sauront, au-delà de leur impact sur l’élection, inspirer toute la communication...

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