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Les 4 méga-trends asiatiques, vues par AXA

Qui ?
Frank Desvignes, Directeur de l'AXA Lab en Asie.

Quoi ?
De Shanghaï où il s'est installé en septembre 2015, Frank Desvignes revient sur les tendances émergentes du marché asiatique et les spécificités de l'écosystème numérique en Chine.

Comment ? 

Avec ses 4 milliards d'habitants, l'Asie est un marché incontournable pour les entreprises internationales. Longtemps considérée comme suiveuse, la région a en réalité développé ses propres règles du jeu : les écosystèmes locaux ont fait naître des champions technologiques comme Baidu, Alibaba ou Tencent, autour desquelles start-up et entreprises innovantes gravitent. "Les étudier permet de prendre du recul sur les modèles imposés par les géants américains en Europe. Mon installation en Chine a cassé toutes mes certitudes acquises au cours de mes vingt années d'expérience dans le numérique" explique Franck Desvignes.

1- Les usages du mobile se lèvent résolument à l’est.

Le "mobile-first" devient "mobile-only" en Asie. La région compte 3,7 milliards de smartphones connectés à internet pour 4 milliards d'habitants. En Chine, 580 millions de personnes sont équipées d'un smartphone et plus des deux tiers l'ont associé à un compte bancaire. En attendant l'arrivée d'Apple Pay début 2016, un duopole règne sur 70% du marché du paiement mobile et nourrit la croissance du m-commerce : Alibaba et sa solution AliPay représente 49% des transactions effectuées sur mobile, WeChat occupe la seconde place, avec 21 %.

"La Chine est un poste d’observation privilégié sur le paiement et le commerce mobile car l'usage a décollé. Ce n’est pas encore le cas en Europe, car la carte de crédit n’est pas un point de frustration aussi important dans les parcours". Le 11 novembre, le Single Day, l’équivalent du "Black Friday" américain, est le jour où les célibataires chinois s’offrent un cadeau à eux-mêmes : entre 2014 et 2015, les ventes  sur mobile d' Alibaba sont passées de 35 à ...70% !

Le mobile transforme aussi les usages des professionnels. Dans cette région industrielle, toutes les chaînes de production sont pilotées depuis un smartphone grâce à Alibaba. "La plateforme est souvent assimilée - à tort - à son homologue américain Amazon alors que son modèle est complètement différent." Alors qu’Amazon promet la suppression des intermédiaires, Alibaba a fait au contraire le pari de la multi-intermédiation sur toute la chaîne de valeur. "Alibaba est BtoBtoBtoCtoCtoC. Les bobines de fil sont vendues sur Alibaba à un fabricant de textile qui lui-même vend le tissu à celui qui confectionnera les vêtements, et ainsi de suite jusqu'à la vente. Et le marché de seconde main passe aussi par la plateforme". La commission d’Alibaba est prélevée à chaque transaction.

2- Les applications de messagerie sont les nouveaux portails du numérique

Enrichies en fonctionnalités, les applications de messagerie sont devenues les hubs incontournables de la vie numérique des asiatiques, à l'instar de WeChat racheté par Tencent."L’expérience utilisateur n’a pas toujours été un point fort des Chinois, mais tout cela a beaucoup changé. Sur WeChat, les fonctionnalités se débloquent au fur et à mesure de l’usage dans l’application pour faciliter l'adoption". La plus récente est l’introduction de la "visio" de groupe, comme un skype à plusieurs sur mobile. La voix occupe une place prépondérante dans les usages, mais elle n'est plus synonyme d'appel ou de discussion synchronisée : les Chinois s'envoient des messages vocaux, souvent enregistrés en plein rue, pour se répondre.

L’ouverture du porte-feuille électronique est aussi une fonctionnalité à "débloquer", grâce à invitation. "C’est très simple et il ne faut que quelques minutes pour approvisionner son compte". WeChat intègre à la fois les moyens de paiement et les boutiques des marques au sein même de l'application. "Le phénomène n'est pas circonscrit à l’Asie, WeChat est devenu un point d’entrée privilégié vers les services des marques. Facebook tente de reproduire le modèle : depuis décembre 2015, il est possible de commander un Uber depuis Messenger". David Marcus multiplie les annonces depuis août sur son ambition de faire de Messenger (voir notre article à ce sujet) un canal de relation client,  véritable assistant personnel boosté à l’intelligence artificielle. Google planche aussi sur une refonte de son application de messagerie instantanée Hangout accueillant des "chatbots", une armée de robots qui viendront apporter une réponse aux requêtes des utilisateurs.

Pour le moment, le champion chinois du chat garde un temps d'avance, et n'exclue pas de conquérir le marché occidental. En août, Tencent a investi 50 millions de dollars dans Kik, un "WeChat canadien" comptant à l'époque 280 millions d’utilisateurs. Kik a annoncé, le 21 décembre, grâce aux fonds de la levée, le rachat de BlynkStyle, un "styliste de poche" doté d'une intelligence artificielle.

3 - Tous les corps de métiers se modernisent à la mode Uber

Les artisans asiatiques sont passés directement d'un fonctionnement traditionnel à une organisation "marketplace" 100% numérique. "En Asie, il y a un Uber pour tout, il s'en crée tous les jours", explique Franck Desvignes en prenant l'exemple de Tuhu, l'Uber des garagistes. La communauté se fédère autour d'une place de marché qui facilite la gestion des prospects, des échanges et des transactions. Du point de vue de l'assureur, l'outil tient lieu d'agrégateur, c'est une opportunité. "Le système de ranking nous renseigne sur les meilleurs garagistes, le point d'entrée unique améliore l'expérience de nos clients."

L'Asie développe de nouvelles manières de faire du business en alliant le local et le social. Les asiatiques s'inspirent des fonctionnements des plateformes pour résoudre des problèmes propres à leur marché. Dans le domaine du voyage, une entreprise d'assistance téléphonique propose de nouveaux services aux voyageurs chinois, en recrutant localement dans les pays touristiques des "assistants" payés à la minute de service. "6 mois après son arrivée sur le marché, Uber avait déjà une flotte de 5000 taxis. Tout va vite, car tout se décide rapidement."

4 - Les connexions des données et des services dans le domaine de l'assurance 

Comme celui de la Silicon Valley, le Lab Axa à Shanghai a pour objectif de nouer des liens étroits avec les grands acteurs des écosystèmes asiatiques et d'inspirer le groupe. "La manière d’acheter des produits d’assurance en ligne est culturellement très différente, les assurances sont généralement liées aux événements du quotidien".

Des plateformes automatiques de distribution d’assurances se sont développées pour traiter ces besoins conceptualisés, comme cette  assurance sur le retard au décollage. Dans ce cas, le produit est connecté au flux d'achat de billet et au flux des horaires d'atterrissage des avions pour évaluer les risques et les prix en temps réel en ligne. En cas de retard, il n’y a pas de réclamation à déposer du côté du client ni à traiter du côté de l'assureur. L’information du retard est collectée directement dans le flux et le versement d'un dédommagement est automatique.

Et le "big data", buzzword occidental seulement ? "L'Asie a une approche très commerciale d'Internet, les indicateurs sont les ventes, pas la collecte de data. C'est l'émergence des objets connectés qui pousse le marché à prendre le virage data et cloud". Culturellement, le chinois est enclin à partager ses données si elles servent la collectivité (smartcity). Par exemple, beaucoup partagent leur nombre de pas dans Wechat pour se motiver en communauté. Les entrepreneurs sont conscients des synergies à développer avec l'assureur et n'hésitent pas à les solliciter. "Les données sont l’opportunité d'améliorer les process et guident la réflexion autour de nouvelles manières de distribuer les produits d’assurance, cela fait partie de nos axes stratégiques."

Monelle Barthélemy

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