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Réanimer l’Express et Libé : mission impossible ?

Qui ?
Clément Delpirou, Directeur général de SFR Presse.

Quoi ?
Un avant-goût de la stratégie de relance de Libération et l'Express, lors du 5 à 7 du digital, organisé par Petit Web et Oath le 5 avril 2018.

Comment ?

Après 11 ans chez Infopro (L'Usine Nouvelle, L'Argus de l'Assurance, LSA, Salon des maires de France...), Clément Delpirou a fait le choix de rejoindre SFR Presse, l'entité qui regroupe L'Express et Libération, elle-même rattachée à NextradioTV et Altice Média. Pourquoi ce mouvement qui en a surpris plus d'un ? "Après ces années passées dans un univers média très peu impacté par les adblockers, peu attaqué par les plateformes et peu touché par la vidéo, je voulais voir s'il était possible de réaliser en BtoC ce que l'on avait dans ce secteur un peu protégé du BtoB" explique-t-il. Chez Infopro, la branche digitale du groupe dont il avait la charge comptait seulement 3 salariés à son arrivée. Fin 2017, elle réunissait 500 personnes, dont 180 développeurs. "A ma connaissance, la plus grosse équipe technique dans les médias européens. La construction d'une expertise technique propre, c'est quelque chose de plutôt atypique dans notre secteur."

 

Un tel virage "tech" est-il envisageable chez Libération et L'Express, entrés dans le giron du groupe de Patrick Drahi respectivement en 2014 et 2015 ? "Les Américains sont très forts pour inventer des 'punchlines' : quand on écoute les médias là-bas, ils visent '50-50 by 2020', soit 50% de profils tech dans leurs effectifs. En France actuellement, c'est plutôt 2-98%". La renaissance des titres de presse d'Altice devrait donc passer par des recrutements sur des compétences techniques clés. "En France, on a les préavis : les développeurs ne sont pas encore arrivés. Mais il y a une vraie dynamique et l'ensemble de l'équipe n'aurait pas embrassé ce projet sans la conviction, à tous les échelons de l'organisation, qu'il faut se doter d'une force de frappe digitale."

Cette "force de frappe digitale" est d'autant plus indispensable que l'univers concurrentiel de SFR Presse s'élargit... Spotify, Deezer ou Netflix proposent chacun des offres de contenus et de divertissements très riches, pour seulement quelques dizaines d'euros par mois. "Si on veut être capable de proposer une expérience digitale singulière, qui justifie les 7 à 9€ d'abonnement mensuel, il va nous falloir 6 à 10 mois de travail" estime-t-il. Il n'y aura pas nécessairement de "grand soir technologique" : "tous les nouveaux formats ne nécessitent pas d'énormes investissements. Par exemple, si on veut avoir des "stories" propriétaires sur notre site comme celles du Washington Post, ce n'est pas très compliqué."

L'Express a d'ores et déjà annoncé une refonte de son organisation et du fonctionnement de son site, avec le rapprochement de ses équipes dédiées au papier et au web au sein d'une rédaction unifiée : fin de la course à la reprise de dépêches, lancement de deux éditions numériques quotidiennes, mise en place d'un paywall... Libération prépare  une refonte de même ampleur. Objectif ? Se constituer une offre d'information et de services suffisamment riche et différenciante pour générer des abonnements. Et rompre avec le "péché originel des années 2009-2013": la course à l'audience et à la publicité, au détriment de la fidélisation des abonnés numériques (3 000 chez L'Express, 10 000 à Libération).

Il s'agit aussi de se démarquer : "il y a aujourd'hui un manque d’aspérité dans les contenus ou les interfaces des titres de presse, c'est très frappant. Pendant dix ans, les internautes ont appris une chose : les articles, c'est gratuit. Donc si c'est gratuit et pareil partout, ça ne marchera jamais. Mais si on regarde les exemples en France et à l'international, en revenant à l'équilibre originel, avec la publicité d'un côté et l'abonnement de l'autre, on revoit la lumière au bout du tunnel." SFR Presse entend donc proposer une offre d'abonnement "pertinente" d'ici 10 à 12 mois, tout en renouant rapidement avec l'expérience opérationnelle dans le digital.

Une telle offre devrait prendre de nombreuses formes : "pour faire payer, il faut qu'on ait des formats longs, du feuilleton, de l'audio, de la vidéo, mais aussi probablement des services. Par exemple, les prix de l'immobilier en France est la meilleure vente de l'Express en kiosques, il y a forcément des services à développer autour. Si on  propose des histoires, des contenus et des services inédits, alors on peut faire payer." Une ambition loin d'être impossible, pour son artisan : "pour être à l'équilibre, il suffirait pour Libération de passer de 10 000 à 100 000 abonnés payants en numérique. C'est ce que Libération avait en 2003, on l'a déjà fait."

 

Pour réussir ce retour au payant, SFR Presse compte aussi capitaliser sur l'historique de ses marques médias, "de belles endormies qui demeurent fortes dans l'esprit du public et des lecteurs."Et sur les compétences en interne, "des savoir-faire sur lesquels nous pouvons capitaliser." A terme, SFR Presse pourra peut-être un jour incarner la "convergence" : "nous allons pouvoir utiliser la puissance et l'ambition du groupe, et pourquoi pas la convergence avec ses autres médias, voire même avec les télécoms, pour construire quelque chose."

Benoit Zante

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