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Nestlé, ou l’innovation au biberon

Qui ?

Samuel Baroukh (en photo), directeur du marketing digital, e-commerce et data, Nestlé France et Pierre Harand, directeur général France, fifty-five.

Quoi ?

Le compte-rendu de la conférence ID-le Club du 12 novembre 2019 sur « Process et organisation de l’innovation chez Nestlé », en partenariat avec fifty-five, Hootsuite, Teaminside et l'Union des Marques.

Comment ?

Face au grand bouleversement imposé par les géants du digital, les fleurons de l’économie française n’ont pas le choix. Pour rester dans la course à la rentabilité, même les grandes enseignes doivent transformer leur organisation, digitaliser leurs process, revoir les relations qu’elles entretiennent avec leurs consommateurs. De plus en plus informés, ces derniers attendent dorénavant plus de transparence et plus d’éthique. Un sujet majeur pour l’industrie agro-alimentaire qui, depuis quelques années, connaît une mutation forcée. « Amazon a mis un grand coup de pied dans la fourmilière », note en introduction, Pierre Harand, le directeur général France de fifty-five, la « data company », qui accompagne la transformation de sociétés comme Nestlé. « Le e-commerce devient une réalité pour les marques de grande consommation. Les consommateurs ont aussi de nouvelles attentes, notamment en terme de transparence, comme on le voit avec le phénomène Yuka ». Et ces tendances changent en profondeur la façon de faire le marketing : « Aujourd’hui, on achète de la publicité, comme on achèterait des actions dans la haute finance. Ces technologies permettent aux marques d’analyser leurs données. Avec ces outils, elles sont plus adroites et plus efficaces dans leur marketing digital… voire même dans le marketing tout court ». Une réalité qui dépasse le web. La preuve : les dépenses publicitaires en programmatique sur le canal TV ont augmenté de 85 % en 2018 aux Etats-Unis.   

La digitalisation : une mission transversale 

Qui aurait d’ailleurs pu imaginer il y a quelques années, l’importance cruciale du directeur eBusiness couvrant marketing digital, e-commerce et data dans un groupe comme Nestlé ? Un poste créé en 2015 sur mesure pour Samuel Baroukh pour accélérer la digitalisation de la société. Une mission à la fois stratégique et transversale qui comprend non seulement la gestion des infrastructures IT, la transformation des métiers au niveau global comme au niveau local, mais aussi le pilotage des équipes en interne, les relations en externe avec les agences… « Sur le long terme, ma fonction a vocation à disparaître, assure-t-il, avec la franchise qui le caractérise. Il faut que le digital soit partout dans l’entreprise et maîtrisé de tous. Nous avons laissé les ressources digitales dans les business unit pour être totalement intégré avec les problématiques business, mais je participe à la définition des incentives des collaborateurs ».

Parler de la data comme d’un « asset » 

Mener à bien sa mission passe avant tout par la maitrise de la donnée. « On parle de la data comme d’un asset. Il faut d'abord posséder le gisement puis apprendre à le raffiner. Pour cela, nous avons besoin des bons outils, des bonnes compétences pour piloter ces outils et de bons cas d’usages. Après avoir structuré notre donnée avec un référentiel client unique sur sites, média et CRM pour toutes nos marques, nous avons mis en oeuvre une stratégie programmatique qui est aujourd’hui le moyen prioritaire d’achat sur le digital ». Grâce à l'exploitation de la base de données, Nestlé a pu mettre en place diverses initiatives pour entrer directement en contact avec le client. C’est le cas de « Emile et une recette », proposant des recettes adaptées aux différents profils des consommateurs, sur Messenger et sur Google Assistant. Une solution aux performances en demi-teinte. « Le consommateur n’est pas encore prêt pour ce genre d’usage conversationnel. Mais nous avons beaucoup appris comme par exemple qu’il est très demandeur d'astuces culinaires simples comme le temps de cuisson d’un oeuf à la coque. »

henri.Nestlé.com 

Pour accélérer le développement d’un esprit propice à l’innovation auprès de tous les collaborateurs, une plateforme a été imaginée en interne pour permettre aux salariés de présenter une initiative ou de voter pour un projet judicieux pour l’entreprise. C’est grâce à ce procédé qu’existe notamment l’« arrondi solidaire » sur le salaire des collaborateurs qui acceptent de participer. Des micro-dons sont ainsi récoltés chaque mois, la somme étant reversée à une oeuvre caritative. Plus largement, des appels à candidatures pour imaginer des initiatives avec les nouveaux acteurs du secteur alimentaire sont lancés via la plate-forme d’open innovation henri.nestle.com. « Cela nous permet d’entretenir des liens que nous n’avons pas forcément de façon physique avec divers écosystèmes, notamment celui de la foodtech, des start-ups, des fonds d’investissement… ». Nestlé noue des partenariats aussi bien dans la Silicon Valley grâce à son équipe implantée à San Francisco et en Europe, dont la France bien sur. C’est le cas avec FlyMenu, une start-up qui permet à un internaute de construire un panier en un clic, à partir d’une recette préalablement sélectionnée.

Beyond the Label 

Quid de la défiance des consommateurs ? De ces applications, telles que Yuka, qui offrent dorénavant la possibilité de connaître exactement la composition de chaque produit ? Comment le digital peut-il venir au secours de la marque sur ce point ? « Ce sujet n’est pas nouveau, note Samuel Baroukh. on traite la question de la confiance au travers de la sécurité alimentaire chez Nestlé depuis 150 ans ». Outre les outils mis en oeuvre pour tracer les produits et vérifier leur qualité, Nestlé développe depuis plusieurs années des procédés pour informer directement le consommateur. Le programme « Beyond the Label », permettait ainsi de connaître l’ensemble des informations nutritionnelles sur les différents produits du groupe. Et puis, pour améliorer la fiabilité des informations de Yuka, le groupe a tout simplement directement travaillé avec elle : « C'est bien que ce soit un tiers de confiance qui délivre l'information aux gens. Encore faut-il qu'elle soit fiable ! »

L’innovation dans l’ADN

Éthique, responsable et innovant… des valeurs qui sont inscrits dans l'Histoire du groupe. Le fondateur, Henri Nestlé, pharmacien de métier, a inventé, à la fin du 19e siècle, la première farine lactée permettant de contribuer à lutter contre la mortalité infantile très élevée à l’époque. Les innovations depuis sont variées : l’entreprise collabore avec Airbus sur de la veille satellitaire en matière de sourcing, afin de vérifier que les filières locales respectent leurs engagements écologiques et durables. Autre défi, l'explosion de la livraison de plats préparés à domicile « 4 à 5 % des plats consommés par les Français sont directement livrés à leur domicile. Nous devions faire quelque chose. C’est pourquoi nous avons imaginé un service de livraison de pizza à domicile avec la marque Buitoni. Un projet test, lancé en partenariat avec Deliveroo ». Qui a conduit le groupe à changer de mindset : habitué à évaluer le succès quand le seuil de millions d’unités vendues est atteint, il s'agissait ici d'évaluer ce service à très petite échelle. Autre enjeu marketing pour Nestlé : éviter les campagnes publicitaires intrusives. « Sur le cadre de diffusion, nous savons que nous avons encore du travail. Mais nous avons déjà bien avancé. Depuis 2013, l’ensemble de nos campagnes sont validées par des tiers. Nous travaillons sur des projets éthiques et des pilotes avec la blockchain programmatique. On sait que le consommateur en a marre de se faire bombarder. » 

D’autres innovations plus récentes répondent aux nouveaux modes de consommation, comme les Bacon Cheese Burgers entièrement vegan et autres produits à base de protéines végétales. Mais le groupe a aussi appris à concevoir les produits en mode itératif, parce que les goûts et les modes changent vite. Et ça, c'est une révolution souterraine, mais bien réelle...

Capucine Coquand

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