Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

« Pour le journalisme, l’érosion du 20 h de TF1 est la meilleure nouvelle »

Qui ?
David Dufresne, journaliste (Actuel, Libé, Médiapart), auteur du site la Rafale en 1995 et du manifeste pour le Web indépendant. Auteur et réalisateur transmédia, il vit à Montréal. Edite un le blog Dafdunet.

Quoi ?
Le CR résumé (in extenso ici) #8 de la série around the transmedia world, par Laurent Guérin.

Comment ?
Pour des raisons personnelles, je me suis beaucoup intéressé aux questions des libertés individuelles et des libertés collectives et j’ai fait beaucoup de travail sur la police et sur la justice, notamment à Libération pendant presque 10 ans et à Médiapart. C’est ce qui m'a amené à m'intéresser aux prisons américaines, d’où "Prison Valley".

A propos des nouvelles narrations
Mon travail c'est d’utiliser le Web finalement pour déconstruire la narration telle qu'on l’a connue jusqu'ici. Et quand je dis déconstruire, c’est essayer de comprendre comment un film est écrit, comment il fonctionne pour essayer de le dépiauter, de l’arranger différemment. Internet est évidemment le lieu idéal pour ça car c’est lui-même un endroit éclaté dans ces gênes. C'est un endroit où il n’y pas d’arcs narratif, où il n'y a pas de réseau central puisque ce sont tous les ordinateurs du monde qui se connectent les uns aux autres, permettant la propagation de l'information. L'internaute est coauteur. Dès lors qu'il arrive sur "Manipulations" ou sur "Prison Valley", on lui passe la main. Vous tenez la souris, vous tenez le récit... Mon travail c’est d’accompagner les spectateurs. De trouver comment on donne cette liberté de manoeuvre.Si on peut faire différemment du "début-milieu-fin-nœud-dénouement", pourquoi ne pas tenter ? D’ailleurs, une fois que les projets sont en ligne, on peut faire des ajustages. Aujourd’hui, le cinéma raconte plus de choses sur la réalité que la réalité elle-même. Toute ma culture étant ancrée dans les faits, ce n’est pas un hasard si je suis à la charnière de ces deux grammaires là. D’un côté une grammaire de fiction, et de l’autre une grammaire de documentaire, d’enquête, d’investigation. Essayer de marier les deux, c’est très intéressant.
Je n’ai pas de projet de fiction pour le moment, mais si ça venait, je serais ravi.

Retour sur "Prison Valley"
Il y a eu une fusion extraordinaire des cultures et des métiers et c’est devenu la principale force de l’équipe. Avec Philippe Brault, on était les plus vieux... Par exemple, Philippe était celui qui avait le moins la culture Web. Il voulait faire les photos à la chambre noire ! Certains voulaient totalement délinéariser le programme et ne comprenaient pas pourquoi je disais non. Je ne voulais pas qu’on puisse «zapper» des vidéos, j’avais besoin de tenir l’histoire. Le pari  le plus fou, c'était de raconter une histoire longue sur Internet... Tout le monde nous disait que ça n’allait pas marcher, que les internautes ne consommaient que des formats courts. Mais on a tenu (le programme aurait engrangé 500 000 vues sur le Net, selon nos sources, NDLR). On a créé des tronçons, un récit en élastique, d’où le spectateur pouvait s’écarter pour y revenir ensuite, on a utilisé les cookies pour mémoriser sa progression... Le pari de la participation a aussi été gagné et la qualité des contributeurs est extraordinaire.

A propos de "Manipulations"
Sur "Manipulations", Sébastien Brothier (co-auteur, déjà sur Prison Valley) et moi sommes au service d'une enquête qui n'est pas la nôtre. C’est celle de Pierre Péan, Vanessa Ratinier,  Christophe Nick et Jean-Robert Viallet. Nous étions purement dans la conception et la scénarisation.  Nous avions un matériau incroyable : deux ans d'enquête, des centaines d'heures de rush. Il fallait trouver une nouvelle façon d'écrire et de raconter tout ça. Quand tu fais une enquête comme ça- que tu sois journaliste ou pas- tu as des moments de grande difficulté. On a voulu recréer ça.  Cette situation de solitude et de perte qu’il y a autour du rôle de l'enquêteur.Mais sur le net, on n’est pas tout seul. On croit qu'on est tout seul devant sa machine, mais en réalité il y a toujours des gens qui sont derrière l'écran. C'est pour ça qu'on a fait une aide en ligne, et en direct...C’est ce moment collectif qu'on essaie de faire partager.En tant que scénariste, auteur, concepteur, c'est extrêmement touchant de voir des gens te souffler dans les bronches parce qu'ils comprennent pas, et surtout, de les voir s'entraider dans le chat. Je gère l’aide en ligne de Montréal entre 21:00 et 1h du matin...

Je réponds aux utilisateurs, je donne des indices, des conseils. Nous sommes un peu dans la peau d'un cuisinier qui a préparé sa recette et qui demande à ses clients si c'est assez salé, assez poivré, ce qu'il faut le rajouter, si ça leur plaît pas ou pas, et pourquoi...

C’est une chance inouïe qu'on a sur le Web : on peut ajuster. C'est vertigineux et ça peut avoir des vertus extraordinaires, mais il faut aussi rester extrêmement solide sur ses convictions et ses fondamentaux.

A propos de l’information
Je pense que le monde de l'information est totalement bouleversé, bien plus que les journalistes ne le croient ou ne veulent le croire. Cette révolution  c’est le partage l'information. Une information n'est plus détenue par un diffuseur qui diffuse à beaucoup de monde mais elle est partagée, discutée et transformée très vite.

Et puis il y a la possibilité de contre expertise extrêmement rapide. Avant il y avait quelques journaux et ils faisaient la messe. Ils donnaient une information. Aujourd'hui cette fonction là est totalement terminée. L'érosion du journal de TF1 par exemple est quand même la meilleure nouvelle qui soit arrivée au journalisme, et cette érosion est en partie dûe au fait que l’information est partagée, que le «temps de cerveau disponible» qui était vanté par certains, n'est pas allé du tout là où on voulait qu'il aille. Il n'est pas allé vers la publicité, il est allé vers une modification des comportements, une modification du traitement de l'information.

Toute information qui est sortie est discutée : d'où vient l'information ? Qui la sort ? A quel moment ? il y a immédiatement des gens pour enquêter, qui se sont pas forcément journalistes, et c'est plutôt sain.

Laurent Guérin sur Twitter : http://www.twitter.com/laurentg

Le blog de Laurent

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