Newsletter du Lundi
11/12/23

Paru le

Google et Amazon : petite crise boulimique à l’Icann

Quoi ?
Une tribune sur les enseignements des attributions des nouveaux noms de domaine Internet par l'ICANN, le 13 juin dernier.

Qui ?
Godefroy Jordan, Président de Starting Dot, ayant candidaté pour 5 nouvelles extensions (immo, bio, ski, archi, design) qui les commercialisera dans 6 mois, quand l'ICANN donnera ses résultats, analyse les enseignements des candidatures déposées.

Comment ?
Quelques jours après la clôture du 44ème Congrès de l’ICANN, qui s’est tenu à Prague du 24 au 29 juin, arrêtons nous sur la liste des 1 930 candidatures reçues par l’ICANN dans le cadre du processus "new gTLD" de création de nouvelles extensions de noms de domaine Internet. Cette liste constitue un édifiant cahier de tendance de l’Internet, une sorte de radiographie des dynamiques actuelles. Au total, 1 409 propositions de nouvelles extensions apparaissent, des plus génériques (.shop, .app, .web…) aux plus spécifiques (.allfinanzberatung, .shiksha, .webcam…).

Trois orientations apparaissent à la lecture de cet inventaire.

La première concerne le caractère endogamique du processus. Les acteurs moteurs du processus sont d’une part les insiders de l’industrie du nommage et d’autre part les conseils juridiques et autres consultants, qui défendent historiquement les intérêts des marques face à l’industrie du nommage Internet. La première catégorie, celle des insiders, représente un tiers du gâteau, avec des jeunes pousses lourdement financées, la plus importante, Donuts, ayant levé 100 m$ et déposé plus de 300 dossiers. La seconde catégorie, qui représente un autre tiers des candidatures est celle des marques, accompagnées par des consultants en technologie ou des conseils en propriété intellectuelle.

La seconde orientation a trait aux lignes de fracture de l’économie mondiale. On retrouve dans notre liste l’avance américaine, la langueur européenne et le dynamisme des émergents. Logiquement, les Etats-Unis, puissance incontestée de l’Internet, représentent 45% des candidatures new gTLD. L’Allemagne, seconde industrie du nommage au niveau mondial, héberge 69 candidatures. La France, avec 54 candidatures, fait jeu égal avec la Chine et ses 52 candidatures. Le Royaume-Uni semble décalé avec ses 39 dossiers : la plupart de ses candidatures sont cachées dans les paradis fiscaux, qui accueillent près de 20% de la liste, avec en tête le Luxembourg et les Îles Caïman !

L’identité des organisations et des marques qui ont candidaté fournit la troisième clef. Il n’est pas anodin que Google (101 candidatures) et Amazon (76 candidatures) soient respectivement le second et le troisième acteur du processus "nouveaux gTLD", en nombre de candidatures. A contrario d’Apple (une seule extension demandée : .apple) et de Microsoft (8 candidatures dont .office, .bing, .docs), Amazon et Google n’ont pas uniquement cherché à protéger leurs marques, mais anticipent avec boulimie la valeur future de ces nouvelles extensions. Leur ambition est de posséder celles qui seront les plus signifiantes et les plus synergiques avec les usages des internautes. Google et Amazon sont ainsi notamment en compétition sur .search, .buy, .shop ! Google n’a pas oublié son cœur de métier et déposé .ads… L’intérêt de Google et d’Amazon pour .book, .movie et .music nourrit par ailleurs les inquiétudes relatives à la concentration et aux effets sur la concurrence sur les marchés des œuvres de l’esprit : "It would be wrong on so many levels for Amazon to acquire either the ".book" or ".author" top-level domains," a ainsi déclaré Paul Aiken de l’Author’s Guild (sujet dévelopé par Phil Corvin dans son post "New gTLDs: Competition or Concentration? Innovation or Domination?", à lire ici. Plus largement, la stratégie nouveaux gTLD de Google est clairement orientée contre Facebook : sécurisées et diversifiées, les pages web hébergées sur les nouvelles extensions constitueraient pour les marques de nouveaux espaces plus performants que les Fan Pages…

Les marques brick and mortar , comme on les appelait au début des années 2000, sont nombreuses à avoir participé au processus. Ainsi 36 Fortune 100 ont candidaté pour l’extension correspondant à leur marque, dont Wal Mart, GM, Ford, Apple, Johnson & Johnson, Intel… (liste complète). Les secteurs les plus présents sont la grande consommation et le luxe (qui protègent leurs marques),  l’électronique et l’automobile (qui anticipent IPv6 et la connexion des machines à l’Internet dans les années qui viennent). Peu de marques ont été au-delà et tenté de préempter leur univers.  Parmi elle, rendons hommage à L’Oréal, dont 6 des 14 candidatures font référence à ses métiers : .salon, .skin, .makeup…

Une lecture attentive de la liste de marques candidates, notamment pour ce qui concerne la France, nous évoque les débuts de l’Internet il y a quinze ans. On y retrouve en effet la plupart des « marques pionnières », dont Chanel, L‘Oréal, Axa, Club Med, Orange, SFR, Saint-Gobain… J’y vois le témoignage qu’elles ont su garder leur avance stratégique et comprendre qu’en dépit des opportunités offertes par le marketing de la performance, leur marque reste l’ingrédient le plus actif de leur efficacité sur Internet.

Vinton Cerf, l’un des inventeurs de l’Internet, évoquant les candidatures de Google, avait fait remarquer début juin qu’en 2016, la moitié de l’humanité serait connectée à Internet, alors que la moitié des sites web ont une adresse dans l’extension .com, créée en 1984, ce qui pose la question du manque de diversité des offres de nommage des sites. "En offrant un plus grand choix de noms de domaine, nous espérons que les utilisateurs pourront trouver des "panneaux de direction" plus variés et peut-être aussi plus courts". L’analogie avec la signalétique est intéressante : les nouvelles extensions sont en quelque sorte un actif immobilier, comme un immense réseau de millions de nouveaux emplacements de magasin. Pour les retardataires, il est déjà trop tard : les candidatures new gTLD sont closes depuis le 30 mai 2012 et s’il y a un jour une nouvelle session d’appel à candidature, ce ne sera pas avant 2016 ou 2017…

Godefroy Jordan

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